Défense de l'école hanafite - chapitre 4

 



Résumé et traduction du Livre.


CHAPITRE 4.
LA CONTRIBUTION DES JURISTES HANAFITES.


Abu Hanifa est né à Kufah en 80 (AH) et il est mort en 150. Il était un marchand de textile.
Il est aussi nommé Imaam A'zam (le "Grand Imam").
Il a commencé son éducation dans le kalaam puis a développé un intérêt pour le fiqh sous le tutorat de son shaykh Hammad ibn Abi Sulayman (m.120).
Plus tard il fut le leader de l'école de Ahl al-Ra'y.
Il est dit qu'il a rencontré des compagnons, dont Anas ibn Malik.

Quand on parle des grands juristes, on mentionne souvent leur piété. Et même pour défendre le taqlid dans le fiqh, on se contente de mentionner leur piété, au lieu d'autres justifications plus techniques qu'il serait plus pertinent de mentionner.

Al-Sarakhsi a écrit :

"Il est rapporté que Shafi'i a dit : "Les juristes dépendent tous de Abu Hanifa dans le fiqh". Ibn Surayj, qui était un leader parmi les compagnons de Shafi'i, a rapporté qu'un homme avait critiqué Abu Hanifa, alors Shafi'i l'a appelé et lui a dit : "Ô untel, tu critiques une personne à qui la ummah entière lui reconnaît 3/4 du savoir, alors qu'il ne leur reconnaît même pas 1/4." L'homme a dit : "Comment ça ?". Il a répondu : "Le fiqh c'est des questions et des réponses, et il est celui qui tout seul a formulé les questions, ainsi la moitié de la science est à lui. Puis, il a répondu à toutes les questions, et même ses opposants ne disent pas qu'il s'est trompé dans toutes ses réponses. Étant donné que celles sur lesquelles ils sont d'accord avec lui sont autant que celles sur lesquelles ils divergent avec lui, alors 3/4 est à lui. Le reste il le partage avec avec les autres juristes." La personne s'est repenti de ce qu'elle a dit."

En effet Abu Hanifa a formulé avec ses élèves énormément de questions hypothétiques (chose plus difficile qu'il n'en paraît), ce qui a permis à l'ensemble des juristes de mieux comprendre le fiqh. C'est en ce sens qu'ils dépendent tous de Abu Hanifa.

La façon dont les règles sont élaborées dans ces travaux par succession de cas liés les uns aux autres est remarquable et hautement sophistiquée. Cette méthode a été développée en un art qui a atteint la perfection dans les travaux de juristes comme al-Sarakhsi, qui a ajouté une quantité énorme de détails à ces cas.
La loi islamique était une loi pratique pour résoudre les problèmes, tous ces détails étaient nécessaires. Aujourd'hui, peu sont ceux qui apprécient ces cas ou bénéficient de cette méthode unique d'élaborer la loi.
Le véritable fiqh ne s'acquiert qu'à travers l'étude de cas détaillés. Cette méthode a été dominante jusqu'à l'apparition des littéralistes.
Une estimation du nombre de cas mentionnés et discutés dans les anciens livres hanafites donne des dizaines de milliers de cas.

Abu Hanifa n'a pas formulé tous ces cas complexes tout seul, il était entouré d'un corps de juristes qu'il supervisait.

Ses quatre élèves les plus célèbres :

-Abuu Yuusuf (113-182)

-Zufar ibn Hudhayl (110-158)

-Muhammad ibn al-Sahan al-Shaybaanii (132-189)

-Hasan ibn Ziyaad al-Lu'luu'ii


Al-Sarakhsi a écrit :

"La première personne a avoir développé les branches du fiqh (furuu'), les avoir compilées et avoir écrit dessus était la lumière de la ummah, Abu Hanifa, qu'Allah le bénisse. Il était capable de faire cela grâce au succès que lui a accordé Allah, le Glorieux le Majestueux, car Il l'a choisi pour cet objectif. Il a aussi reçu la coopération de ses compagnons qui se sont rassemblées autour de lui. Ils étaient des juristes comme Abu Yusuf Ya'qub ibn Ibrahim ibn Khunays al-Ansari qui était le leader dans la connaissance de ses narrations, al-Hasan ibn Ziyad al-Lu'lu'i qui était le leader dans la formulation des questions et problèmes, Zufar ibn Hudhayl ibn Qays ibn Sulaym ibn Mukammil ibn Dhul ibn Dhu'ayb ibn Jadhimah ibn 'Amr, qui était le leader dans l'usage de l'analogie, et Muhammad ibn al-Hasan al-Shaybani, qui était béni avec une grande perspicacité et était le leader dans la syntaxe et la grammaire, ainsi que dans les calculs mathématiques.
En plus de ces mérites, Abu Hanifa est né à l'époque des Compagnons, qu'Allah soit satisfait d'eux. Il en a rencontrés, comme Anas ibn Malik, 'Amir ibn Tufayl et 'Abd Allah ibn Khabar al-Zabidi, qu'Allah soit satisfait d'eux tous. Il a vécu durant l'époque des Successeurs des Compagnons, a acquis la connaissance du fiqh durant cette période et a établi des règles avec eux. Le Prophète a dit : "La meilleure des générations est ma génération, et je suis l'un d'eux, puis la génération qui les suivra, et puis ceux qui les suivront. Après cela, le faux sera répandu, une personne témoignera avant qu'on le lui ait demandé, et il jurera avant qu'on le lui ait demandé de faire un serment."
Une personne qui développe les branches de la loi et compile le savoir durant une période que le Messager d'Allah a louée en terme de bénédictions et vérité, doit être sain dans le jugement avec un haut statut."


Pour apprécier la puissance de ces juristes talentueux il faut regarder un exemple au hasard.

[L'exemple est trop compliqué et technique, je le saute. C'est sur la vente d'argent contre de l'argent que chacun des partis ne possède pas et emprunte.]


Par le biais de ses disciples, la réputation de l'école hanafite s'est grandement propagée. Abu Yusuf a été nommé juge à Baghdad et plus tard est devenu Chef Qadi, avec le pouvoir de nommer des juges partout dans le royaume. Il a ainsi eu l'opportunité de propager l'école de Abu Hanifa.

Muhammad al-Shaybani, qui devait avoir 18 ans quand Abu Hanifa est mort, a enregistré non seulement les premiers livres de l'école hanafite, mais aussi ceux de l'ensemble du système légal islamique. Les livres qu'il a écrits sont de deux types :
-zaahir al-riwaayah (qui concernent les cas principaux)
-al-nawaadir (cas spéciaux)

Quiconque examine ces livres ne peut être qu'émerveillé par la puissance de l'esprit de l'imam Muhammad, et de ses professeurs et compagnons.

Il a aussi écrit :
-Kitaab al-Hujjah 'alaa Ahl al-Madinnah (sur l'utilisation des narrations)
-al-Aathaar (sur les narrations)

Sa version du Muwatta' de Malik est aussi considérée comme très fiable.

Abu Yusuf aussi a écrit un livre al-Aathaar, et le célèbre Kitaab al-Kharaaj.

Tous ces livres forment les fondations de l'écoles hanafites.

Mais le processus de création d'un corpus juridique a commencé bien avant, Kufa est devenu très tôt un centre de fiqh et d'apprentissage. 'Umar y avait envoyé 'Abdullah ibn Mas'ud (m. 34) en tant qu'enseignant et juge. Il y a formé un grand nombre de juristes.

Abu 'Ubayd ubn Sallam (m. 229) rapporte une narration (dont la chaîne remonte à Abu Mijlaz) :

"Umar ibn al-Khattab a désigné 'Ammar ibn Yasar pour les gens de Kufa pour diriger leurs prières et leurs forces armées. Il a désigné Abdullah ibn Mas'ud pour le judiciaire et le trésor. Et il a désigné 'Uthman ibn Hunayf pour l'estimation de la terre. Il a ensuite déterminé une chèvre par jour pour leur salaire. Le narrateur a dit : "Il est aussi dit qu'il a fixé comme salaire une seule chèvre à partager entre eux, avec la partie du haut et l'intérieur pour 'Ammar, et le reste à partager pour les deux autres." Umar a ensuite dit: "Je crois qu'un village duquel est pris une chèvre chaque jour court vers sa ruine."

'Umar a rendu suffisante une chèvre pour trois familles qui représentaient l'élite dirigeante dans cette grande ville, et il considérait même cela comme quelque chose qui la conduirait à sa perte !


Abdullah ibn Mas'ud a ainsi pu engendrer un grand nombre de juristes qui ont ensuite transmis leur savoir à Abu Hanifa. Parmi les plus grand d'entre eux :

-Abdullah ibn Mas'ud (m. 34)

-'Alqamah ibn Qays al-Nakha'ii (m. 62)

-Ibraahiim al-Nakha'ii (m. 95/96)

-'Amr ibn Sharaahil al-Sha'bii (m. 109)

-Hammaad ibn Abii Sulaymaan (m. 120), auprès de qui Abu Hanifa a passé énormément de temps, il a même donné son nom à son fils.


Les neufs champs développés par les hanafites.





1. Qawaa'id/Qawaaniin Usuuliyyah
2. Qawaa'id Fiqhiyyah
3. FIqh et Dawaabit
4. Shurut et Hiyal
5. Ikhtilaaf al-Fuqahaa' Khilaaf
6. al-Furuuq
7. Ahkaam al-Qur'aan
8. Maqaasid al-Sharii'ah
9. Siyaasah Shar'iyyah



1. Qawaa'id/Qawaaniin Usuuliyyah

Les hanafites utilisent certaines règles pour interpréter les textes.

Exemples :

-L'ordre implique-t-il l'obligation ?


Certains juristes disent que l'ordre implique toujours l'obligation, mais ça peut devenir une recommandation ou une permission s'il y a d'autres preuves dans ce sens.
D'autres considèrent que l'ordre implique la permission.

Ainsi une règle interprétative est créée : L'ordre implique l'obligation (al-amru li al-wujuub)
C'est connu comme "le hukm du amr".

Quelle que soit l'opinion de l'école (obligation pouvant devenir recommandation/permission, ou permission tout court), la règle sera toujours suivie par l'école.


-L'ordre implique-t-il la répétition de l'acte ?

La règle générale est que l'ordre implique l'accomplissement de l'acte une fois, et si d'autres preuves indiquent la répétition alors ce sera interprété selon.


-L'ordre implique-t-il l'accomplissement immédiat ou retardé ?

Par exemple si l'horaire de la prière a commencé et que la personne part en voyage, elle ne pourra pas raccourcir cette prière si l'ordre implique l'accomplissement immédiat, car l'accomplissement dû était au moment où il n'était pas encore en voyage.


Un autre exemple :

Al-Dabbusi :

"Le principe selon nos trois juristes est qu'une narration du Prophète par voie aahaad est préférée à une analogie valide. Selon Malik, l'analogie valide est préférée au khabar waahid."

Il cite ensuite des exemples :

"Sur ce principe, nos juristes ont dit que le maniyy (sperme) est un type d'impureté qui peut être purifiée en frottant le vêtement quand il est sec. En disant cela, ils ont suivi une narration. Selon Malik ça ne peut pas être purifié sans être lavé, tout comme l'urine."

"Nos juristes ont dit que manger par oubli pour celui qui jeûne ne casse pas le jeûne. Ils ont suivi une narration en cela. Malik a dit que ça casse le jeûne, et sur cela il s'appuie sur une analogie."

"C'est sur ce principe que nos juristes ont dit que la période minimale pour les menstrues est trois jours et trois nuits. En cela ils ont suivi une narration. Selon Malik, c'est seulement un instant. Il a fait une analogie en cela, avec les autres impuretés."

"C'est sur cette règle que nos juristes ont dit que le divorce et l'émancipation prononcés par une personne ivre sont valides et effectifs, et en cela ils ont suivi une narration. Malik a dit que ses déclarations ne sont pas valides. Il a construit son analogie sur le cas de l'impubère et du fou en utilisant la 'illah d'absence de raison."



Un autre exemple cité par al-Dabusi qui montre une divergence avec al-Shafi'i :

"Le principe selon nos juristes est que la parole d'un Compagnon est préférée à l'analogie si elle ne s'oppose pas à la parole d'un autre Compagnon, car il n'est pas correct de dire qu'il l'a dite par analogie étant donné que l'analogie la contredit et il n'est pas non plus correct de dire qu'il l'a dite par hypothèse, on suppose donc qu'il l'a dire après l'avoir entendue du Prophète. Selon l'imam al-Shafi'i, l'analogie est préférée car il ne fait pas le taqliid des Compagnons et ne suit pas leurs opinions."

Puis il donne des exemples :

"Par exemple le cas de la récompense pour celui qui ramènre un esclave en fuite d'une distance de trois jours de voyage. En cela nous suivons l'avis de Abdullah ibn Mas'ud et nous fixons un juu'l (récompense) pour lui. Selon al-Shafi'i une récompense ne doit pas être payée, et il a fait une analogie."

"Un autre exemple, le cas de l'imposition de la diyah (compensation financière) pour une personne qui coupe la barbe d'une autre personne de façon à ce qu'elle ne pousse plus. En cela nos juristes ont suivi l'opinion de 'Ali et ont délaissé l'analogie. Al-Shafi'i a dit qu'il n'y a pas l'obligation de la diyah et que la compensation est basée sur la hukuumah."

"Un autre exemple, la permission de la vente de khamr (vin) pour les transactions entre Dhimmiis. Nous suivons l'opinion de 'Umar en cela. Al-Shafi'i a dit que ce n'est pas permis, et il a suivi une analogie en cela."


(Il mentionne aussi d'autres exemples.)

Ces deux exemples de principes donnent une idée au lecteur de la signification de ce qu'on appelle présomptions législatives, qui appartiennent à la discipline des usuul al-fiqh.


2. Qawaa'id Fiqhiyyah

On en a déjà parlé avant ainsi que dans un autre livre.
Les qawaa'id fiqhiyyah sont des présomptions de loi et de faits. Certains des principes sont établis expressément par les textes, d'autres sont créés par déduction (istiqraa'). Les principes ultimes sont les maqaasid al-sharii'ah.
Les juristes shafi'ites ont essayé d'inclure dedans les dawaabit (règles juridiques) et certains hanafites les ont suivi, mais c'est incorrect.


3. Fiqh et Dawaabit

L'activité principale des juristes est l'extraction de la loi à partir des textes, et l'extension de cette loi par le moyen de méthodes rationnelles. Ce procédé est appelé ijtihaad.
Quand en plus de s'appliquer au cas concerné, la règle s'applique aux autres cas similaires, on l'appelle daabit.

Dans certains livres d'écoles littéralistes, il est considéré que la règle ne s'applique qu'aux personnes à qui le juriste répond. Ils ont donc sorti les dawaabit du fiqh et les ont inclus dans leurs livres sur les qawaa'id fiqhiyyah, dans le chapitre Ashbaah wa-al-Nazaa'ir. Cependant pour l'école hanafite, les dawaabit font partie des livres de fiqh normaux.

Une règle a une raison d'être (hikmah).


4. Shurut et Hiyal

Selon Schacht (orientaliste allemand), les juristes musulmans ont essayé de faire un pont entre la théorie et la pratique avec des méthodes casuistiques. La plus importante étant les hiyal ("ruses juridiques", singulier : hiilah). Il cite aussi les concepts de 'amal, shuruut et furuuq de Malik, mais il insiste surtout sur les hiyal. Ignaz Goldziher (autre orientaliste) était le premier à en avoir parlé et les avoir vivement critiquées.

La littérature sur les hiyal semble avoir comme origine les hanafites, avec Abu Yusuf et al-Shaybani qui ont écrit dessus. Les autres écoles étaient au départ hostiles aux hiyal, mais les ont finalement acceptées progressivement. Le juriste shafi'ite al-Qazwiinii a écrit dessus et a divisé les hiyal en mahzuur (interdites), makruuh (déconseillées) et mubaah (permises), ce dernier type formant la majeure partie de son livre. Les hanablites ont aussi déclaré légales un nombre de hiyal. Al-Shaatibii (malikite) a aussi divisé entre hiyal autorisés et interdits, en se basant sur les maqasid.

Les hiyal sont surtout liées aux shuruut. L'objectif est de mettre en garde les gens quand ils font des contrats et formulent des déclarations légales. L'objectif n'est pas d'échapper à la loi, mais de ne pas s'y confronter par négligeance.
Par exemple si un homme veut menacer sa femme de divorce, mais ne veut pas réellement la divorcer, sa déclaration "Je te divorce si tu fais cela" sera effective selon la loi hanafite si la femme commet l'acte en question, et elle sera divorcée. La hiilah (ruse juridique) pour cet homme est d'ajouter "Si Dieu le veut" à la fin de sa déclaration. L'usage de cette formule prend ses sources dans des narrations du Prophète à propos d'autres types de serments.
Beaucoup de hiyal appartiennent à cette catégorie.

Les hiyal ne sont pas vraiment des "ruses", mais des outils de précaution. Schacht le reconnaît lui-même : "Le concept de précaution domine la littérature des hiyal et des shuruut".

Il dit aussi : "Les travaux sur les hiyal et les shuruut appartiennent à une branche de la littérature juridique hanafite, avec les travaux sur le waks, les hérétiages, les jugements énoncés et écrits (mahdar/sijill) des juges, les devoirs des juges (adab al-qaadii), et sur l'entretien. Tous ces sujets sont importants dans l'aplication de la loi islamique en pratique, et ils semblent se combiner dans les travaux d'une série d'auteurs hanafites très réputés sur plusieurs sicèles."

Il serait raisonnable de conclure que les hiyal appariennent à un grand corps de loi procédurale. Elles étaient censées servir de lignes directrices aux avocats établissant des contrats ou conseillant les individus en matière de loi personnelle et commerciale, et il n'est pas correct de dire que les hiyal sont des fictions juridiques servant à contrer la rigidité de la loi. Ils n'ont rien à voir avec le fait de faire un pont entre la théorie et la pratique, ni ils n'indiquent la rigidité de la loi.

Le Coran dit de faire rédiger les ventes à crédit par un scribe. La science de la rédaction des documents légaux comme les contrats est appelée la discipline des shuruut. L'imam (hanafite) Abu Ja'far al-Tahaawii (m. 361) a écrit deux livres dessus, ainsi cette discipline existaiet sous forme développée au milieu du 4ème siècle.


5. Ikhtilaaf al-Fuqahaa' et la discipline du Khilaaf

Il y a une différence entre divergences et débats entre juristes.

Dès le début il y a eu des ouvrages sur les divergences. Même Abu Hanifa aurait écrit un livre sur les divergences entre les Compagnons.
Abu Yusuf a écrit Ikhtilaaf Abi Haniifah wa Ibn Abi Laylaa et al-Radd 'alaa Siyar al-Awzaa'ii.
Al-Shaybani a écrit Kitaab al-Hujjah 'alaa Ahl al-Madinah.
Dans Kitaab al-Umm d'al-Shafi'ii il y a plusieurs chapitres sur les divergences.
Al-Tabarii a écrit dessus.
Al-Tahawi a écrit Ikhtilaaf al-Fuqahaa' que al-Jassas a ensuite résumé.
Par la suite on constate que les divergences entre les juristes sont citées dans presque tous les livres de fiqh, pas seulement hanafites.

Mais la discipline du khilaaf c'est autre chose. C'est une confrontation de présomptions supportées par leur impact sur le fiqh. Elle est née suite au challenge posé par les qawaaniin de l'école hanafite aux autres écoles. Et elle est liée aux usuul al-fiqh.
Jassas, al-Dabbusi et al-Sarakhsi ont écrit dessus.


6. al-Furuuq

C'est l'art de distinguer les cas, pour ne pas appliquer le mauvais jugement à un cas en apparence similaire à un autre.
L'école hanafite a utilisé cette méthode dans ses raisonnements, mais c'est devenu une science à part entière appelée al-Furuuq avec le livre de al-Karaabiisii (m. 570). D'autres juristes comme al-Najafii et al-Qarafii (m. 683) y ont contribué, al-Qarifi (malikite) a écrit ses 4 volumes cent ans plus tard mais il n'égale pas le travail d'al-Karabisi.

Deux exemples du livre d'al-Karabisi :

"Si un homme écrit à une femme en lui disant de se marier à lui, puis elle lit le texte devant des témoins en les informant du contenu de l'écrit, et qu'elle dit ensuite "Je me suis mariée à lui", le mariage est valide. Si elle ne les informe pas de ce qui est dans le texte, le mariage n'est pas valide.
Dans le cas d'une vente, si une personne écrit à une autre lui demandant de lui vendre son esclave, et que cette dernière n'informe pas les témoins du contenu de l'écrit, alors la vente est valide s'il dit "Je te l'ai vendu".
La différence est que son écrit est son expression et c'est comme s'il était présent. S'il était présent et qu'elle avait dit "Je me suis mariée à toi" mais que les témoins n'avaient pas entendu la déclaration, le mariage n'aurait pas été valide. La raison est que le mariage n'est pas valide sans témoins. S'il avait dit "Je te l'ai vendu" mais que les témoins n'avaient pas entendu la déclaration, la vente aurait été valide. La raison est que la vente est valide sans témoins. La même chose s'applique ici.
(Dans le premier cas la règle est : le mariage n'est pas valide sans témoins.
Dans le second cas la règle est : la vente est valide sans témoins.")


"Si une personne dit à une autre "Je t'ai vendu ce sac pour un dirham par cafiz (de blé)", mais qu'elle ne mentionne pas le volume du sac entier, la vente est valide pour un seul cafiz, selon Abu Hanifa.
Si une personne dit à une autre "Je t'ai vendu sce troupeau de moutons pour un dirham par mouton", mais qu'il ne mentionne pas le nombre total de moutons, et que ce nombre n'est pas connu, alors la vente est viciée pour tout le troupeau.
La différence entre les deux situations est que le terme utilisé dans les deux cas s'applique pour une unité et davantage, sans pouvoir s'appliquer au nombre total (car il est inconnu). L'unité dans le cas des moutons est inconnue, car un mouton est différent d'un autre, par conséquent, ça revient à dire "Je t'ai vendu un mouton du troupeau". S'il avait dit ça, la vente n'aurait pas été valide à cause du manque de connaissance, de même dans ce cas.
Ce n'est pas pareil dans le cas du blé, car le terme "cafiz" est pour une unité, et s'applique à davantage. L'unité est connue, car un cafiz de blé est similaire à un autre cafiz du même sac. Ce qui est au-delà d'un cafiz cependant est inconnu, ainsi, le contrat (avec l'excédent inconnu) n'est pas valide, mais il est valide pour un seul cafiz. C'est comme s'il avait dit "Je t'ai vendu un cafiz de ce sac pour tant". S'il dit ça, c'est valide, et donc de même ici."

(En résumé, la vente d'un groupe dont les unités varient est invalide pour tout le groupe, alors que si l'unité est uniforme, la vente est valide pour une unité (car on sait qu'il y en a au moins un), et pas pour le reste car la quantité restante est inconnue.)


7. Ahkaam al-Qur'aan (les lois du Coran).

La plus haute et meilleure autorité pour interpréter les versets juridiques sont les écoles de loi. Pour l'école hanafite ça veut donc dire que la plus haute autorité pour ce type d'interprétation est Abu Hanifa et ses deux élèves Abu Yusuf et Muhammad al-Shaybani, suivis des juristes postérieurs, comme al-Tahawi et al-Jassas qui ont écrit les livres Ahkam al-Qur'an. Dans l'école shafi'ite un livre similaire est attribué à al-Shafi'i, mais en fait c'est al-Bayhaqi (m. 458) qui a rassemblé les avis d'al-Shafi'i et autres juristes de l'école. Dans l'école malikite, les plus connus pour avoir écrit dessus sont Ibn 'Arabii (m. 543) et al-Qurtubii (m. 671). Même si le livre d'al-Qurtubi est un tafsir, il a porté une attention particulière aux versets juridiques, et a même appelé son tafsir : al-Jaamii' li Ahkaam al-Qur'aan.

Les mots arabes du Coran ont généralement plusieurs sens, alors l'exégète dans un tafsir donne les différentes interprétations possibles, en sélectionne une par préférence aux autres et en explicite le sens. Il donne aussi généralement le contexte de révélation du verset et les cas où le texte peut s'appliquer. Un tafsir est donc une interpréation. Une traduction du Coran aussi est une interprétation, car le traducteur choisi un des sens des mots. Quand on lit le Coran en arabe c'est différent car on a conscience des différentes significations des mots. Les tafsirs ne sont en général pas écrits par des juristes (mais parfois si, comme le tafsir d'al-Raazii : Tafsiir Kabiir). Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas d'expertise dans le fiqh, c'est juste qu'ils n'ont pas été reconnus comme juristes célèbres.

Contrairement aux tafsirs, les livres appellés ahkaam al-Qur'aan ne se focalisent que sur les versets à contenu juridique. L'objectif est de montrer comment la loi est extraite des versets. Ces livres sont écrits par des juristes, car les non juristes ne sont pas qualifiés pour traiter avec le contenu juridique des versets. Quand un juriste extrait les lois des textes, on est assué que toutes les méthodes acceptées pour extraire la loi, qui sont établies dans la science des usuul al-fiqh, ont été appliqués. Ce dont on n'est pas sûr dans le cas d'un non juriste.
Certains de ces ouvrages sont tout simplement remarquables, néanmoins la narration authentique de la loi est contenue dans les livres de fiqh produits par les juristes des écoles. Même l'interprétation authentique des versets du Coran se trouvent dans les livres de fiqh.
Un autre problème de ces ouvrages de ahkaam al-Qur'aan, c'est qu'un sujet peut être gouverné par plusieurs versets se trouvant dans des sourates différentes (et l'exégète traite verset par verset, sourate par sourate). Ici aussi les livres de fiqh ont donc un avantage. L'imam al-Tahawi a ainsi organisé son livre selon les catégories de fiqh.

Remarque : ce qu'on appelle fiqh al-sunnah, est un champ que n'avaient pas les anciens juristes, car la Sunna était déjà discutée dans les livres de ahkaam al-Qur'aan, étant donné que Sunna et Coran sont liés et qu'il est difficile d'interpréter l'un sans l'autre.


8. Maqaasid al-Sharii'ah (les objectifs de la Sharii'ah)

Récemment, les maqaasid al-Sharii'ah sont devenus importants, au point où ils sont considérés comme une branche du fiqh par certains.
Il est dit que l'idée est originairement d'al-Juwaynii, puis al-Ghazaalii en a développé une théorie à propos des objectifs de la loi. Mais en réalité l'idée est plus ancienne. Certains croient encore que c'est l'idée d'al-Shaatibii, qui a vécu des siècles après al-Ghazaalii, alors qu'en réalité les origines apparaissent d'abord dans les travaux du juriste hanafite al-Dabbuusii. C'est cependant dispersé dans ses ouvrages, il n'en a pas fait une théorie à part entière. (Il se peut que les discussions sur ce sujet contenues dans ses ouvrages datent encore d'avant). Notons qu'al-Dabbusi a eu une grande influence sur le développement des usuul al-fiqh et des travaux des autres juristes, même ceux d'autres écoles comme al-Juwainii et al-Ghazaalii.

Al-Dabbusi discute d'abord des objectifs des causes qui rendent la loi obligatoire. Puis il dit :

"C'est basé sur l'argument qu'Allah, l'Exalté, n'a pas interdit quoi que ce soit si ce n'est sur la base d'intérêts (masaalih) qui reviennent (au final) à nous par l'interdiction. Ainsi, Il a interdit le zinaa, dans la mesure où il y a dedans la ruine de la lignée à cause de l'absence de filiation. Il a interdit l'excès dans la consommation dans la mesure où il y a dedans du gaspillage. Il a interdit le khamr (vin) dans la mesure où ça conduit à la déficience de l'intellect, l'empêchement du rappel d'Allah, et un comportement semblable à celui d'un fou. Il a interdit le jeu d'argent dans la mesure où il y a dedans de la haine et hostilité, ainsi que de la destruction des biens..."

Son plus dévoué successeur - aussi bien dans les usuul que dans le fiqh - Shams al-A'immah al-Sarakhsii, en a dit ça environ quarante ans plus tard :

"C'est affirmé par le fait que changer sa religion (apostasier) ainsi que la mécréance originelle sont les plus grandes de toutes les offenses, mais c'est quelque chose entre le serviteur et son Créateur. Par conséquent, la récompense est retardée jusqu'à la Maison de la Récompense (l'au-delà). Ce qui a été précipité dans ce monde sont les politiques juridiques pour sécuriser les intérêts qui reviennent (au final) aux servants, comme le qisaas pour la protection des vies, le hadd du zinaa pour la protection de la lignée et la famille, le hadd du sariqah (vol) pour la protection des biens, le hadd du qadhf (calomnie) pour la protection des réputations, et le hadd du khamr pour la protections des intellects."

Cela montre que les discussions sur les maqaasid ont atteint une étape avancée avant qu'al-Ghazaalii ne prenne le flambeau.

Le point le plus important de ce passage, c'est que al-Sarakhsi appelle les maqaasid "politiques juridiques" (siyaasaat mashruu'ah), ce qui limite le rôle des maqqasid à la siyaasah shar'iyyah. Al-Juwayni aussi indique que ces intérêts doivent être utilisés dans le cadre siyaasah (politique). Ainsi, les maqaasid ne peuvent pas être utilisés pour renverser la loi qui a été extraite directement des textes par des méthodes comme le qiyaas. Les maqaasid doivent être utilisés pour résoudre des nouvelles problématiques légales ou sociales.


9. Siyaasah Shar'iyyah (l'administration de la justice)

La loi islamique s'opère sur la base de deux sphères qui coexistent en harmonie l'une avec l'autre.
Une sphère est permanente et a été extraite directement des textes, alors que l'autre est flexible et change avec le temps.
La sphète flexible orbite autour de la sphère fixe est dessine ses principes et son inspiration à partir de la sphère intérieure.
Les juristes (fuqahaa') sont responsables du développement des lois dans la sphère intérieure, tandis que l'État ou le gouverneur, qui est censé être mujtahid (juriste qualifié), est responsable de la sphère flexible.
Les lois dans la sphère intérieure ont été extraites par les juristes à partir des sens juridiques des textes, ainsi que par des méthodes strictes d'extention comme le qiyaas. Les lois dans la sphère extérieure ont été extraites par l'État sur la base de principes généraux listés dans la sphère intérieure. Cette sphère extérieure est par conséquent basée sur des politiques générales, comme l'a mentionné al-Sarakhsi au dessus.
Ainsi, la loi dans la sphère flexible extérieure est appelée siyaasah shar'iyyah. Si le gouverneur (imaam) développe la loi et met en place une politique en accord avec la sphère intérieure, Taraabulusii (l'auteur de Mu'iin al-Hukkaam) l'appelle siyaasah 'aadilah (administration de la justice en accord avec la sharii'ah). Si le gouverneur viole ces principes, il l'appelle siyaasah zaalimah (administration tyranique).

L'existence des deux pshère ne veut pas dire que le gouverneur est libre de développer la loi dans la sphère flexible selon ce qui convient à sa fantaisie. Il y a une méthodologie claire mise en place par les juristes, une méthodologie que le gouverneur doit adopter.
(L'idée des deux sphères n'implique pas qu'il y ait une division au sein du système juridique, la loi doit s'appliquer comme un seul corps.)

Cette séparation en deux n'existait pas aux tout premiers temps, et semble avoir été développée vers la fin des Umayyades, quand la loi a atteint la maturité. Certaines aires de la loi discutées dans les travaux anciens des juristes hanafites sont tombées plus tard dans le domaine exclusif de l'État. La séparation semble avoir été complète vers la fin du 2ème siècle de l'Hégire.

Cela veut-il dire que la juridiction sur certains territoires a été appliquée de force par l'État et que l'autorité des juristes a été éliminée ? Certainement pas.

L'arrangement semble être parvenu via un accord des deux partis, les juristes et les gouverneurs. La séparation entre les fonctions des juristes et l'activité judiciaire de l'État a été accomplie en parfaite harmonie. C'est certes une caractéristique unique de la loi islamique.

L'accord - selon ce qui est rassemblé des travaux des juristes - semble être que les fuqahaa' avaient la juridiction sur certaines aires de la loi qui pouvait être dérivée directement des textes, une aire qui était une partie permanente de la loi, tandis que l'État faisait des lois, dans le cadre de l'ijtihad disponible au gouverneur, dans des aires où la loi était susceptible de changer avec le temps, ou en accord avec la politique (siyaasah) des gouverneurs. En d'autres termes, les juristes ont dévoué leur énergie à la partie éternelle de la loi qui ne changera jamais, que l'État soit laïque ou islamique, parce que c'était une loi qui était extraite directement des textes du Coran et de la Sunna, une loi qui pourrait - excepté huduud et qisaas - être pratiquée comme loi personnelle même par les minorités musulmanes. Cette pratique semble avoir continué jusqu'au temps des Ottoman en Turquie, et jusqu'au temps de Awrangzeb 'Aaalamgiir en Inde. La structure des tribunaux en Inde était basée sur la doctrine de la siyaasah shar'iyyah.



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Chapitre précédent : Les règles hanafites ne peuvent être démolies par les autres écoles


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La fiqh des minorités.