Défense de l'école hanafite - Chapitre 2



Résumé et traduction du Livre.


CHAPITRE 2.
LA LOI HANAFITE NE PEUT PAS ÊTRE MODIFIÉE PAR LES HADITHS DE SAHIH BUKHARI, MUSLIM, ETC.



La règle selon Shafi'i pour qu'un hadith soit une preuve légale : la chaîne doit être complète et sûre.

Nomenclature :

musnad (masaaniid) : le sanad remonte au Prophète et il ne manque personne

muttasil : le sanad est lié, si ça va jusqu'au prophète : marfuu', sinon : mawquuf
(donc musnad = marfuu')

mursal : il manque un transmetteur
(c'est la définition hanafite du mursal, selon les muhaddithun, c'est mursal s'il manque compagnon, sinon c'est munqati')

Selon Shafi'i : pour être une preuve légale, la narration doit être musnad ou muttasil (donc ne pas être interrompue).

Cependant les hanafites y ajoutent le mursal qui a été accepté et appliqué par les juristes.
Cette règle hanafite date de 100 ans avant Shafi'i.

Dans al-Mabsut, Sarakhasi dit en discutant d'un hadith :

وَالْحَدِيثُ مُرْسَلٌ بِالطَّرِيقِ الَّذِي رَوَاهُ
Le hadith est mursal par la manière qu'il l'a narré
 وَلَكِنَّ الْمَرَاسِيلَ حُجَّةٌ عِنْدَنَا
mais les maraasiil sont une preuve selon nous
 كَالْمَسَانِيدِ أَوْ أَقْوَى مِنْ الْمَسَانِيدِ؛
comme les masaaniid ou plus fort que les masaaniid
 لِأَنَّ الرَّاوِيَ إذَا سَمِعَ الْحَدِيثَ مِنْ وَاحِدٍ
parce que le narrateur quand il entend le hadith de quelqu'un
 لَا يَشُقُّ عَلَيْهِ حِفْظُ اسْمِهِ
il n'est pas difficile pour lui de mémoriser son nom
فَيَرْوِيه مُسْنَدًا
ainsi il le rapporte en tant que musnad
 وَإِذَا سَمِعَهُ مِنْ جَمَاعَةٍ يَشُقُّ عَلَيْهِ حِفْظُ الرِّوَايَةِ
mais s'il l'entend d'un groupe, il est difficile pour lui de mémoriser la narration
فَيُرْسِلُ الْحَدِيثَ
ainsi il rapporte le hadith en tant que mursal
 فَكَانَ الْإِرْسَالُ مِنْ الرَّاوِي الْمَعْرُوفِ
ainsi le mursal d'un transmetteur connu
 دَلِيلَ شُهْرَةِ الْحَدِيثِ
est une preuve que le hadith est célèbre.

al-Mabsut 27/143

Sarakhasi explique que si un savant connu rapporte un mursal, ce n'est pas parce qu'il manque un transmetteur mais au contraire parce que le hadith est célèbre.

Il y a cependant deux conditions à remplir : le narrateur doit être connu et les juristes de l'école doivent avoir appliqué la narration.

On ne peut pas critiquer une narration rapportée dans un livre hanafite en disant qu'elle est da'if ou gharib, car cela ne peut être critiqué que selon LEURS critères. Et non pas avec d'autres critères, 150 ans plus tardifs (aussi bons soient-ils).

Juste après Bukhari et Muslim, un savant hanafite est né : al-Karkhi (260-340) (shaykh de al-Jassas et  de al-Shashi).
Il a donné la position hanafite sur les authentiques.

Dans son livre sur les usul, il cite 39 principes.

Principe 29
ان كل خبر يجيء بخلاف قول اصحابنا
Toute narration qui vient contredire la parole de nos compagnons
فانه يحمل على النسخ
elle est considérée abrogée
او على انه معارض بمثله
ou qu'elle s'oppose à (une narration) similaire.
ثم صار الى دليل آخر او ترجيح
Puis une autre preuve ou préférence
فيه بما يحتج به اصحابنا
~que préfèrent nos compagnons
من وجوه الترجيح
~doit être adoptée
او يحمل على التوفيق
~ou une conciliation doit être faite
وانما يفعل ذلك على حسب قيام الدليل
mais cela est fait selon la nature de la preuve
فان قامت دلالة النسخ
ainsi si est établie la base pour l'abrogation
يحمل عليه
ça doit être considéré selon cela
وان قامت الدلالة على غيره صرنا اليه
et si est établie une autre preuve, on adopte cela.


Al-Karkhi explique au mujtahid que si une narration dans les compilations reconnues contredit une opinion hanafite, il se peut qu'elle ait été abrogée par une autre. La narration qui abroge étant connue des premiers imams de l'école, avant les compilations tardives. Si elle n'est pas présente dans les compilations reconnues, alors il est impossible qu'un fait connu des premiers imams soit découvert ou questionné par un mujtahid plus tardif.
L'autre possibilité est que ça contredise une autre preuve plus forte (verset ou hadith). Le mujtahid tardif ne peut pas connaître le raisonnement des imams anciens, il peut juste essayer d'expliquer, mais il ne peut pas remplacer l'avis de l'école.
La troisième possibilité est qu'il y avait d'autres preuves plus fortes connues des imams, et cette narration a été interprétée selon ça. Idem, ça ne peut pas être changé.

En résumé : on considère que l'imam ou son école a déjà pris cette narration en compte.

Il y a eu soit abrogation, soit préférence, soit conciliation.

Du temps de Ibn Mas'ud jusqu'à maturité de l'école hanafite, les juristes ont travaillé sur le fiqh 100 ans.
Puis pendant 30 ans, il y a eu enregistrement de la loi avec al-Shaybani.
Durant toute cette période ils ont dû chercher en permanence des narrations pour résoudre des cas et développer la loi.

Mais théoriquement, il se peut qu'en 130 ans ils n'aient pas tout trouvé.

Ibn 'Abidin dit à propos d'une telle narration qui n'aurait pas été trouvée :
"Il est évident que (agir selon) cette narration est pour quelqu'un qui est compétent dans l'examen des textes, qui connaît le muhkam et le mansuukh. Si ceux compétents dans l'école examinent cette narration et agissent selon le dalil (qu'elle contient), la règle est correctement attribuée à l'école, comme si elle avait eu l'accord du fondateur de l'école, car il ne peut pas y avoir de doute que si lui-même avait déclaré sa preuve (précédente) faible, il aurait changé d'avis et suivi la preuve la plus forte. C'est pour cette raison que ibn al-Humaam s'est opposé à la fatwa de certains Mashaa'ikh qui ont jugé selon l'avis des deux imams, et a maintenu que s'écarter de l'avis de l'imam n'est permis que quand sa preuve est prouvée faible."

~Ce n'est qu'un mujtahid qui peut faire ça.
Rien que suivre l'avis des deux imams au lieu d'Abu Hanifa est très difficile, alors suivre une nouvelle preuve l'est encore plus.


Ibn 'Abidin :
"Je dirais : De plus, il est nécessaire de restreindre cela avec (la condition) que l'opinion soit conforme à une opinion dans l'école, car il n'est pas permis dans l'ijtihad de tenir une position qui le fait sortir de l'école complètement, c'est-à-tdire, ce sur quoi nos juristes se sont mis d'accord. La raison est que leur ijtihad est plus fort que le sien. [...]"

En résumé, il est quasi-impossible qu'un mujtahid découvre une nouvelle narration.
Mais si tel est le cas, alors il doit le prouver. Et même alors, et s'il est convaincu qu'il a raison, ibn 'Abidin dit qu'il ne peut pas faire une fatwa, il peut seulement l'appliquer à titre personnel.

Cette règle empêche que n'importe qui vienne détruire l'école.

Cependant les compilation de hadiths tardives restent nécessaires, pour traiter des questions nouvelles qui n'ont pas été traitées par les anciens, ou celles dont les règles peuvent changer avec le temps.



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