Le Musannaf de Abd al-Razzaq (Motzki)





15. Le Musannaf de Abd al-Razzaq comme source de hadiths authentiques (Motzki).


(Traduction du chapitre 15 du livre + schémas)
Harald Motzki, orientaliste allemand (1948-2019)


I. (j'ai résumé cette partie)
Pour juger l'authenticité des hadiths, les savants musulmans s'attardent davantage sur les chaînes de transmission alors que les orientalistes s'intéressent au texte.

La thèse de Goldziher (que les hadiths ne sont pas authentiques mais reflètent le développement doctrinal et politique au cours des deux premiers siècles) est basée sur l'étude du texte des hadiths, et non pas de l'isnad.

Schacht aussi, lorsqu'il veut dater un hadith étudie le texte. Il ne prend en considération l'isnad que de façon secondaire, et seulement si c'est en accord avec sa première conclusion sur l'étude du texte.

Ils ont une approche trop sceptique vis-à-vis de l'isnad et ils font des conclusions trop hâtives. Une autre approche, la méthode "tradition-historique", permet de se concentrer sur les sources de certains transmetteurs en particulier plutôt que sur des groupes de hadiths selon leur thématique.
Avec cette méthode il y a cependant le risque de surestimer la valeur historique de l'isnad.

Dans cet article je vais encore une fois utiliser les approches source-analytique et tradition-historique et essayer de montrer dans quelle mesure l'isnad des hadiths est fiable.
Quelques études existent déjà dans le tafsir, mais je vais montrer que ça s'applique aussi dans le hadith.


II.

Le Musannaf du yéménite Abd al-Razzaq al-San'ani (d.211) se prête bien à ce genre d'approche.
L'édition en 11 volumes qui est basée sur les rares manuscrits qui ont survécu, soulève des questions concernant la complétude et la composition originale, car il est compilé à partir de différentes transmissions (riwayat).
Cependant, 90% remonte à un seul transmetteur : Ishaq ibn Ibrahim al-Dabari (d.285).
Il l'a probablement reçu dans une forme écrite par son père, un élève de Abd al-Razzaq, mais a sauté son père dans la chaîne car il avait, ou a prétendu avoir, une ijaza (permission de transmettre) le Musannaf de Abd al-Zarraq lui-même, ayant assisté à ses cours étant enfant avec son père.
Ishaq avait 6 ou 7 ans quand Abd al-Razzaq est mort. La grande différence d'âge entre Abd al-Razzaq et Ishaq al-Dabari ne semble pas affecter la validité de sa transmission, du moins en tant qu'historien. Il n'y a aucun indice qui laisserait penser que Ishaq ait inventé les textes (partiellement ou totalement) et les ait attribué à Abd al-Razzaq. En dehors de quelques notes de transmetteurs, Abd al-Razzaq doit être considéré comme le réel auteur du Musannaf.
Même une lecture superficielle de son travail montre que la plupart de ses livres contiennent du matériel censé provenir de principalement trois personnes : Ma'mar, ibn Jurayj et ath-Thawri.
Les exceptions sont les livres al-Maghazi et al-Jami', qui sont largement composés de textes de Ma'mar, et le Kitab al-Buyu', où il y a très peu de transmissions de ibn Jurayj.
Sur un échantillon de 3810 narrations (représentant 21% du travail entier), l'origine présumée des textes transmis par Abd al-Razzaq est :
-32% de Ma'mar
-29% de ibn Jurayj
-22% de ath-Thawri
-Puis les transmissions de ibn 'Uyayna (4%).
-Les 13% restants viennent de 90 personnes différentes (chacun ayant 1% ou moins). Parmi eux, des savants célèbres du second siècle comme Abu Hanifa (0,7%) et Malik (0,6%).




Si les sources que donne Abd al-Razzaq sont correctes, alors son travail est compilé à partir de trois grandes sources, qui sont elles-mêmes composées de plusieurs milliers de narrations.
L'énorme quantité de supposées sources suggère que nous pourrions avoir affaire soit à des travaux originels indépendants (ou au moins des parties), soit aux contenus des enseignements des trois personnes qui pourraient, à en juger par leur âge, être des professeurs de Abd al-Razzaq, ou les deux.
D'un autre côté, on ne peut pas exclure la possibilité que Abd al-Razzaq ait inventé l'information sur l'origine de son matériel et l'ait attribué mensongèrement à ces personnes.
Laquelle de ces deux hypothèses est la plus probable pourrait peut-être être décidé avec l'aide de textes biographique et bibliographique de ces personnes en question. Mais puisque la fiabilité de tels textes n'est pas plus certaine que les affirmations de notre auteur, nous devons trouver une solution à partir du travail de Abd al-Razzaq lui-même. Une piste pourrait être trouvée en analysant les quatre plus grands groupes de transmissions plus en profondeur.
Supposons que Abd al-Razzaq ait attribué arbitrairement son matériel aux quatre personnes mentionnées au-dessus : Ma'mar, ibn Jurayj, ath-Thawri, et Ibn 'Uyayna.
Si tel était le cas, on s'attendrait à ce que la structure de transmission de ces quatre groupes de textes soit similaire, car cela aurait était fait au hasard (une procédure que Schacht a proposé pour certains liens dans les asanid).
J'ai résumé ci-dessous l'information sur les origines attribués aux narrations contenues dans les quatre groupes de textes.

1. Dans le groupe de texte venant prétendument de Ma'mar ibn Rashid, 28% du matériel est dit venir de Zuhri, 25% de Qatada ibn Di'ama, 11% de Ayyub ibn Abi Tamima, un peu plus de 6% de personnes anonymes, et 5% de ibn Tawus. Les propos de Ma'mar lui-même représentent seulement 1%. Le reste (24%) est distribué parmi 77 noms.

2. Dans le groupe de narrations attribuées à Ibn Jurayj, 39% remonte supposément à 'Ata' ibn Abi Rabah, 8% à des personnes non nommées, 7% à 'Amr ibn Dinar, 6% à ibn Shihab (al-Zuhri), et 5% à Ibn Tawus. Les paroles de Ibn Jurayj lui-même représentent seulement 1%, et les 37% restants se divisent entre 103 personnes.

3. Dans le matériel qu'il dit avoir reçu de ath-Thawri, ses opinion personnelles dominent, représentant 19% du total, suivi par les textes de Mansur ibn al-Mu'tamir (7%) et Jarir ibn Yazid (6%), et de personnes anonymes (3%). Les 65% restants sont dits venir de 161 sources différentes.

4. Les textes mis sous le nom de Ibn 'Uyayna sont constitués de 23% de transmissions de 'Amr ibn Dinar, 9% sont dits venir de Ibn Abi Najih, 8% de Yahya ibn Sa'id (al-Ansari), 6% de Isma'il ibn Abi Khalid, 3 à 4% des textes sont anonymes, et le reste (50%) est dit venir de 37 personnes. Il n'y a pas de ra'y (opinion) de Ibn Uyayna lui-même.




Ces profils indiquent que chacune de ces quatre collections de textets a des caractéristiques propres.
Il semble très improbable qu'un forgeur, qui arrangerait le matériel dans un ordre spécifique et l'attribuerait faussement, produise une collection si hautement variée.
De plus, nous devons garder à l'esprit que ces profils ne sont que des grilles grossières et que des différences émergent lorsqu'on entre dans les détails, par exemple en regardant l'origine géographique des transmetteurs, les particularités des textes, etc. L'investigation des structures de transmission du Musannaf de Abd al-Razzaq conduit ainsi à la conclusion que les matériaux qu'il a placés sous le nom de ses quatre sources principales sont authentiques, et non pas le résultat d'attributions fictives qu'il aurait inventées lui-même.
Il y a plusieurs autres particularités dans les transmissions de Abd al-Razzaq qui indiquent qu'elles sont authentiques. Une d'entre elles est le fait qu'il est parfois incertain à propos de l'origine précise d'une narration et qu'il l'admet ouvertement. Dans un cas, par exemple, une narration est introduite par : "Abd al-Razzaq d'après ath-Thawri d'après Mughira ou quelqu'un d'autre -- Abu Bakr (Abd al-Razzaq) était incertain - d'après Ibrahim, qui a dit...".

Hadith n°11825 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ ، عَنِ الثَّوْرِيِّ ، عَنْ مُغِيرَةَ أَوْ غَيْرِهِ - شَكَّ أَبُو بَكْرٍ - ، عَنْ إِبْرَاهِيمَ قَالَ : إِذَا جَاءَ الْأَمْرُ مِنْ قِبَلِهَا حَلَّ لَهُ مَا أَخَذَ مِنْهَا ، فَإِنْ جَاءَ مِنْ قِبَلِهِ لَمْ يَحِلَّ لَهُ مَا أَخَذَ مِنْهَا " .

Un forgeur n'exprimerait certainement pas ce genre de doutes, car ça contreviendrait à son objecif principal, qui serait de forger une chaîne claire et ininterrompue d'une source connue.
De plus, Abd al-Razzaq donne l'impression qu'il a reçu des milliers de textes directement de Ibn Jurayj, ath-Thawri, et Ma'mar. Cela ne pourrait être faux, car si ça l'était, on pourrait se demander pourquoi nous trouvons des asanid comme "Abd al-Razzaq d'après ath-Thawri d'après Ibn Jurayj...", ou, plus rarement, "Abd al-Razzaq d'après Ibn Jurayj d'après ath-Thawri..." ou "Abd al-Razzaq d'après ath-Thawri d'après Ma'mar...".
Le fait qu'il y ait aussi des transmissions indirectes d'après ses sources principales confirme mon propos. L'origine de son matériel n'est pas arbitraire, mais il donne spécifiquement la source d'où vient la narration.
L'invetion semble encore moins probable car Abd al-Razzaq cite aussi des sources anonymes parmi ses transmissions, dans la plupart des cas, sa source principale. Deux exemples : "Abd al-Razzaq d'après un shaykh médinois qui a dit : j'ai entendu Ibn Shihab rapporter d'après..." ou "Abd al-Razzaq d'après un homme d'après Hammad d'après...".

Hadith n°12795 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ ، عَنْ شَيْخٍ ، مِنْ أَهْلِ الْمَدِينَةِ قَالَ : سَمِعْتُ ابْنَ شِهَابٍ يُحَدِّثُ عَنْ عُبَيْدِ اللهِ بْنِ عَبْدِ اللهِ بْنِ عُتْبَةَ قَالَ : سُئِلَ أَبُو بَكْرٍ الصِّدِّيقُ رَضِيَ اللهُ عَنْهُ ، عَنْ رَجُلٍ زَنَى بِامْرَأَةٍ ، ثُمَّ يُرِيدُ أَنْ يَتَزَوَّجَهَا قَالَ : مَا مِنْ تَوْبَةٍ أَفْضَلُ مِنْ أَنْ يَتَزَوَّجَهَا خَرَجَا مِنْ سِفَاحٍ إِلَى نِكَاحٍ " .

Hadith 13622 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ عَنْ رَجُلٍ ، عَنْ حَمَّادٍ ، عَنْ إِبْرَاهِيمَ فِي الْأَمَةِ تَزْنِي ؟ قَالَ : " تُجْلَدُ خَمْسِينَ ، فَإِنْ عَفَا عَنْهَا سَيِّدُهَا فَهُوَ أَحَبُّ إِلَيَّ " . قَالَ عَبْدُ الرَّزَّاقِ : وَمَا أَحْسَنَهُ ، قُلْنَا لَهُ : وَتَأْخُذُ بِهِ ؟ قَالَ : " نَعَمْ " .

De tels asanid sont étranges car en génral Abd al-Razzaq reçoit les narrations de Ibn Shihab d'après Ibn Jurayj ou Ma'mar et le matériel de Hammad d'après ath-Thawri ou Ma'mar. Tournons-nous vers la littérature biographique, comme noté au dessus, ce matériel requiert un traitement différent, pour des raisons médhologiques, puisque l'authenticité des traditions biographiques est autant controversée que celle des ahadith et des textes juridiques anciens. D'après la littérature biographique, à l'âge de 18 ans, Abd al-Razzaq assistait aux cours du savant mecquois Ibn Jurayj (d.150) quand ce dernier visitait le Yémen, probablement en 144. Ma'mar ibn Rashid (d.153) est dit avoir été le professeur le plus important de Abd al-Razzaq. Il a étudié 7 à 8 ans avec Ma'mar, probablement de 145 jusqu'à sa mort en 153. Sufyan ath-Thawri de Kufa (d.161) était au Yémen en 149, et le savant mecquois Sufyan ibn 'Uyayna (d.198) y était en 150 et en 152. Il est assez probable que lors de telles occasions, Abd al-Razzaq a reçu la majeure partie du matériel transmis d'après ces sources. Les récits dans la littérature biographique concernant les professeurs de Abd al-Razzaq coïncide ainsi largement avec ce qu'on trouve dans le Musannaf, les principales sources de son travail.
En ajoutant qu'il est important de garder à l'esprit que ces quatre plus importants professeurs de Abd al-Razzaq sont énumérés parmi les premiers auteurs de travaux similaires. Ils sont considérés comme les pioniers de la littérature musannaf. Ibn Jurayj, probablement l'un des premiers auteurs de musannaf, est dit avoir compilé un livre appelé Kitab al-Sunan, ath-Thawri, al-Jami' al-kabir et al-Jami' al-saghir, et Ibn 'Uyayna le Kitab al-Jawami' fi l-sunan wa-l-abwab. Il n'y a pas de titre pour les livres de Ma'mar préservés dans la littérature biographique ou bibliographique à ma connaissance. Tous ces travaux semblent avoir été perdus, mais il est évident qu'ils ont dû être les sources d'après lesquelles Abd al-Razzaq a compilé son Musannaf. Le fait que l'auteur du Kitab al-Jami', qui est attaché au Musannaf, ne soit pas Abd al-Razzaq lui-même mais sans aucun doute son professeur Ma'mar confirme mon propos.
Cette preuve conduit à la conclusion que la majeure partie du Musannaf de Abd al-Razzaq est une compilation de textes de travaux plus anciens de tailles différentes, qui peuvent être reconstitués, du moins partiellement, à partir des asanid des textes. Abd al-Razzaq a obtenu ses quatre sources principales entre 144 et 153. Elles ont été composées au cours de la première moitié du second siècle de l'Hégire et sont parmi les compilations connues de ahadith les plus anciennes et les textes juridiques de relativement grande taille.




III.


La question maintenant est peut-on prouver l'authenticité du matériel contenu dans les sources principales de Abd al-Razzaq ? Cela doit être décidé pour chaque source séparément. J'ai choisi la transmission du savant mecquois Ibn Jurayj qui recouvre environ un tiers du Musannaf. Parmi ses plus de 5000 narrations, une sélection représentative d'environ 20% a été examinée. Les conclusions suivantes sont basées sur cet échantillon.
D'après l'information que Ibn Jurayj donne à propos de l'origine de son matériel, il est distribué parmi différentes sources d'une façon frappante. La plus grande partie, environ 39%; est dote ve,or de 'Ata' ibn Abi Rabah. Les cinq savants suivants réunissent 25%. Amr ibn Dinar (7%), Ibn Shihab (6%), Ibn Tawus (5%), Abu l-Zubayr (4%), et Abd al-Karim (3%). Les cinq suivant réunissent 8% : Hisham ibn 'Urwa et Yahya ibn Sa'id (2% chacun), Ibn Abi Mulayka, Musa ibn 'Uqba, et 'Amr ibn Shu'ayb (entre 1,5 et 1% chacun). Un autre groupe de dix noms constitue 7%, chacun seulement entre 1 et 0,5%. Les 20% restants viennent de 86 personnes, chacun avec très peu de textes. Les opinions juridiques de Ibn Jurayj sont rares (1%).
Cette étrange distribution des sources dans le travail de Ibn Jurayj argumente, d'après moi, contre la suggestion (qui ne peut pas être exclue) qu'il est un forgeur qui projette ses propres opinions et les opinions juridiques pratiquées à la Mecque à son époque, en arrière sur les générations de savants précédentes. Pourquoi se serait-il rendu le travail d'invention si difficile ? Ne devrait-on pas plutôt nous attendre à ce qu'un forgeur mentionne seulement un, ou au plus quelques uns, des anciens savants les plus connus, et avec plus ou moins la même fréquence ? Pourquoi aurait-il pris le risque que l'ensemble de son invention soit repérées en y ajoutant des sources mineures ?
Il peut encore y avoir une autre interprétation raisonnable à la variété de la distribution des sources de Ibn Jurayj : le juriste mecquois 'Ata' ibn Abi Rabah (d.115) pourrait avoir été le professeur de Ibn Jurayj durant une longue période. Puisqu'il était le plus âgé de ses sources les plus importantes (en comparant les dates de décès), je crois qu'il était probablement son premier professeur. Après la mort de 'Ata', ou même durant sa vie, Ibn Jurayj pourrait avoir écouté les cours d'autres (plus jeunes) savants de la Mecque, comme 'Amr ibn Dinar et Abu l-Zubayr. Il pourrait aussi avoir cherché la science de savants qui ne vivaient pas dans la ville de façon permanente, comme le médinois Ibn Shihab et d'autres, ou avec qui il était en contact pendant qu'ils étaient à la Mecque pour le pélerinage. Il pourrait avoir voyagé jusqu'à eux ou bien avoir obtenu des copies de leurs cours de leurs élèves. Selon moi, le grand nombre de sources irrégulières peut être expliqué par le fait qu'il vivait à la Mecque, qui en tant que lieu de pélerinage lui donne de nombreuses occasions de rencontrer des savants de tout le monde islamique, et cela coïncide avec ce que nous lisons dans la littérature biographique.
Si Ibn Jurayj était un forgeur qui attribuait ses textes plus ou moins arbitrairement à certaines sources, on s'attendrait à ce que le matériel attribué sous chaque nom ne soit pas sensiblement différent les uns des autres. Mais si on étudie la transmission de ses 21 sources les plus citées (qui représentent 79% de l'ensemble de la source), il devient clair que les différences sont si signifiantes qu'on doit les considérer comme provenant de différentes sources distinctes. Les divergences dans ces groupes de transmission attribués par Ibn Jurayj à différents individus peut être observée sur plusieurs niveaux.

1. La proportion de ra'y (opinion) par rapport aux narrations dans les dites sources ou dans les textes de leurs sources principales varie considérablement. Le ratio de ra'y est par exemple de 80% dans le matériel de 'Ata' ibn Abi Rabah, 85% chez Ibn Tawus d'après Tawus, 42% chez Ibn Shihab, 42% chez 'Amr ibn Dinar, 40% chez Ibn 'Urwa d'après 'Urwa ibn al-Zubayr, 30% chez Yahya ibn Sa'id d'après Ibn al-Musayyab, et 31% chez Abd al-Karim. D'autres comme 'Amr ibn Shu'ayb, Sulayman ibn Musa, Ibn Abi Mulayka, et Musa ibn 'Uqba, ne citent leurs avis juridiques que rarement ou jamais.

2. Il y a aussi des variations remarquables, si l'on observe la relation entre la source de Ibn Jurayj et la source principale de cette source et le nombre de narrations transmise par elle. Dans certains cas, la relation était celle d'un élève avec son professeur, comme dans les cas de 'Ata' ibn Abi Rabah et Ibn 'Abbas, 'Amr ibn Dinar et Abu l-Sha'tha', Abu l-Zubayr et Jabir ibn Abd Allah, Yahya ibn Sa'id et Ibn al-Musayyab, et Musa ibn 'Uqba et Nafi'. Mais il y a aussi d'autres relations, comme la transmission d'un fils d'après son père, comme dans les cas de Ibn Tawus et Tawus, Hisham ibn 'Urwa et 'Urwa ibn al-Zubayr, et Ja'far ibn Muhammad et Muhammad ibn 'Ali. Il y a les narrations d'un mawla qui viennent de son maître, comme dans le cas de Nafi' et Ibn 'Umar. Certains de ces couples sont presques exclusifs, c'est-à-dire que le plus jeune transmet seulement du matériel de son maître ou père, et de personne d'autre, c'est le cas avec Ibn Tawus et Tawus, Hisham ibn 'Urwa et 'Urwa, Musa ibn 'Uqba et Nafi', et Ja'far ibn Muhammad et Muhammad ibn 'Ali. D'autres dépendent plus ou moins fortement (mais pas exclusivement) sur leur plus important professeur, par exemple, "Ata' ibn Abi Rabah, 'Amr ibn Dinar, Abu l-Zubayr, Yahya ibn Sa'id, et Ayyub ibn Abi Tamima. Il y a également des sources où la relation élève/professeur ou fils/père ne domine pas la transmission mais où l'on trouve de nombreuses sources différentes, comme dans le cas de Ibn Shihab, Sulayman ibn Musa, et d'autres, ou bien un choix qui se concentre sur une certaine région ou un certain groupe de sources, un phénomène qui peut être observé par exemple dans les cas de Abd al-Karim, 'Ata' al-Khurasani, 'Amr ibn Shu'ayb, et Ibn Abi Mulayka.

3. Les sources de Ibn Jurayj varient considéablement dans leurs proportions de narration du Prophète, des sahaba, et des tabi'un. Seulement une transmission, celle de 'Amr ibn Shu'ayb, contient principalement des ahadith prophétiques. Dans d'autres collections, la proportion de ce type de transmission varie entre 20 et 30%, comme, par exempe, dans celles de 'Ata' ibn Abi Rabah,Abu l-Zubayr, Ibn Abi Mulayka, Ibn Shihab, Hisham ibn 'Urwa, et 'Ata' al-Khurasani. Certains ont seulement quelques narrations prophétiques ou aucune, comme 'Amr ibn Dinar, Ibn Tawus, Yahya ibn Sa'id, Musa ibn 'Uqba, Abd al-Karim, et Nafi'. Une grande proportion des narrations des sahaba peut être trouvée dans les travaux de 'Ata' ibn Abi Rabah, Abu l-Zubayr, Ibn Abi Mulayka, Musa ibn 'Uqba, Nafi', Yahya ibn Sa'id, Abd al-Karim et 'Ata' Ibn al-Khurasani. Les proportions sont seulement de 35 et 45% chez 'Amr ibn Dinar, Ibn Shihab, et Hisham ibn 'Urwa, et il y a un remarquablement bas pourcentage dans les travaus de 'Amr ibn Shu'ayb et Ibn Tawus, la transmission de ce dernier contenant principalement du matériel de tabi'un. Concernant les autres sources de Ibn Jurayj, les textes de tabi'un atteingnent seulement un ratio de 30 à 40%, comme dans le cas de 'Amr ibn Dinar, Hisham ibn 'Urwa, Yahya ibn Sa'id, et Abd al-Karim. Beaucoup moins de textes de tabi'un se trouvent dans les collections de Ibn Shihab, Abu l-Zubayr, 'Ata' ibn Abi Rabah, Ibn Abi Mulayka, et 'Amr ibn Shu'ayb, et aucune ne se trouve dans les collections de Musa ibn 'Uqba, Nafi', et 'Ata' al-Khurasani.

4. L'utilisation de l'isnad, ou la mention des sources des narrations, varient dans les différentes sources de Ibn Jurayj. Les asanid de 'Ata' ibn Abi Rabah et de Ibn Tawus surviennent très rarement, les occurences des asanid dans les transmissions de Ibn Abi Mulayka, 'Amr ibn Shu'ayb, Abd al-Karim, et 'Ata' al-Khurasani sont en dessous de 50%. Elles sont fréquentes cependant dans les matériaux des médinois, comme Ibn Shihab, Hisham ibn 'Urwa, Yahya ibn Sa'id, et Musa ibn 'Uqba, mais aussi dans ceux des mecquois 'Amr ibn Dinar et Abu l-Zubayr, l'un deux montrant des influences médinoises, et l'autre étant connu comme ayant des origines médinoises.

5. Des différences considérables sont notables en observant la terminologie de la transmission, c'est-à-dire, la façon dont Ibn Jurayj cite ses sources. L'utilisation du mot " 'an ", par exemple, varie entre jamais (dans le cas de Ibn Abi Mulayka) et entre 60 et 80% (dans les transmissions de Yahya ibn Sa'id, Musa ibn 'Uqba, et 'Amr ibn Shu'ayb. Entre ces extrêmes se trouvent des transmissions avec relativement peu de narrations avec " 'an ", comme celles de Abu l-Zubayr et 'Amr ibn Dinar, et d'autres qui montrent une fréquence entre 30 et 45%, comme celles de Hisham ibn 'Urwa, Ibn Shihab, Ibn Tawus, 'Atat' ibn Abi Rabah, et Abd al-Karim. Il y a des fluctuations similaires dans l'utilisation de la formule "sami'tu". Avec certaines de ses sources, Ibn Jurayj ne l'emploie pas du tout, avec d'autres il l'utilise de manière irrégulière. Parfois, cependant, ça apparaît fréquemment, comme dans les narrations de Ibn Abi Mulayka. Des préférences similaires pour certains termes de transmission se trouvent dans le travail de certaines sources de Ibn Jurayj également, par exemple, l'utilisation presque exclusive de "sami'tu" par Abu l-Zubayr. La structure hétérogène de la transmission argumente contre l'idée qu'il serait possible de décider, sur la base de la terminologie de la transmission, la question de si le matériel a été reçu de façon orale ou écrite. Dans le cas de la transmission de Ibn Jurayj, de telles conclusions ne sont généralement pas sûres, excepté dans le cas étrange comme celui de Mujahid.

Ce sont les cinq plus importants niveaux par lesquels les différences parmi les différentes chaînes de transmissions peuvent être décrites. Ils montrent que chaque source à ses caractéristiques propres. Cela contredit clairement l'hypothèse que Ibn Jurayj aurait produit toutes les variations de caractéristiques, aurait fabriqué les textes lui-même, les ait projetés sur des personnes plus anciennes, ou aurait forgé les chaînes de transmission ou une partie d'elles.
Une telle diversité peut difficilement être le fruit d'invention systématique, mais a plutôt dû se développer au cours du temps. Nous devons donc, jusqu'à preuve du contraire, partir de l'hypothèse que les narrations pour lesquelles Ibn Jurayj mentionne une personne expressément comme sa source, viennent vraiment d'elle, et ainsi la transmission de Ibn Jurayj, selon moi, doivent être considérées authentiques.
Il y a des explications communes adoptées par les critiques pour rejeter l'authenticité d'une transmission dans un tel cas. Par exemple, il peut être avancé que le transmetteur respectif (dans notre cas Ibn Jurayj) n'est pas le véritable forgeur, ou seulement un forgeur partiel, mais que l'invention soit le fruit d'autres personnes, peut-être ses contemporains, ceux de qui il a pris le matériel et se l'est ensuite approprié. Une autre explication serait qu'une autre auteur ait utilisé son nom arbitrairement. Ce sont les types d'arguments que Schacht propose : "La masse de narrations qui vont sous son nom (à Nafi') doit être créditée à des narrateurs anonymes durant la première moitié du deuxième siècle". Mais suggérer comme explication des contradictions dans une transmission qu'au lieu d'un seul transmetteur cité dans le texte, plusieurs forgeurs anonymes soient à l'oeuvre, ne peut pas être accepté comme argument savant sûr, car ça déplace le problème du niveau des faits, qui peuvent être vérifiés, à la sphère de la spéculation. Je n'argumente pas contre la possibilité qu'il y ait eu des forgeurs de hadiths et de chaînes durant les premières et deuxièmes siècles de l'Islam. C'est certes l'une des tâches les plus importantes de l'historien, de détecter si les textes et chaînes de transmissions sont inventés, et si tel est le cas, où, comment, et pourquoi cela a été fait. Schacht lui-même a pointé le fait, déjà très connu chez les critiques de hadiths musulmans, que les chaînes des collections tardives sont bien meilleures et plus complètes que celles des anciennes. C'est un point de départ possible dans la tentative de démasquer les inventions et améliorations de chaînes et leurs auteurs. Mais le simple fait que des ahadith et asanid aient été forgés ne doit pas nous mener à conclure qu'ils le sont tous, ou que l'authentique et le faux ne peuvent pas être distingués avec un degré de certitude.
L'étude d'une chaîne de transmission dans une ancienne collection de narrations (le matériel de Ibn Jurayj dans le Musannaf de Abd al-Razzaq) montre qu'il est certes possible de séparer les narrations fiables des suspectes ou des textes de fiabilité incertaine. Une comparaison de cette transmission ancienne (première moitié du deuxième siècle) avec celle de collections plus récentes de la deuxième moitié du troisième siècle ou plus, pourrait certainement donner un apperçu de l'étendue de l'invention, des forgeurs, et de leurs motifs. C'est sans doute un sujet pour de futures recherches.




IV. (résumé et reformulé)

[Motzki examine plus en profondeur l'authenticité des narrations de Ibn Jurayj. Il choisit sa transmission par 'Ata' ibn Abi Rabah (sa source principale). Elle se divise en deux types de textes : une moitié de réponses et une moitié de déclarations.
La plupart des réponses sont des réponses de 'Ata' à des questions de Ibn Jurayj. Les réponses à des anonymes sont moins de 10%, et les réponses à d'autres personnes sont très rares.
La plupart de ces réponses sont la propre opinion (ra'y) de 'Ata', les hadiths sont seulement 10%.
Pour les déclarations : 70% de ra'y, 30% de hadiths.
Le ratio réponses/déclarations de 50/50 est une particularité de sa transmission par 'Ata'. Chez 'Amr ibn Dinar il y a seulement 9% de réponses (uniquement des questions de Ibn Jurayj), Zuhri 14% (seulement 1,5% de questions de Ibn Jurayj !), Tawus 5,5%, Abd al-Karim 8% (que des questions de Ibn Jurayj) et chez Abu l-Zubayr il n'y a aucune réponse.
Motzki explique que ces différences et particularités (ainsi que les types de questions posées) montrent qu'il ne s'agit pas de chaînes inventées. Il explique aussi qu'une question-réponse est plus fiable qu'une simple narration car le lien est direct et établi.
À ceux qui objecteraient que Ibn Jurayj a pu inventer ces question-réponses justement pour faire croire à l'authenticité de ce qu'il rapporte, Motzki répond en citant ces deux narrations :

Ibn Jurayj a dit : J'ai chargé quelqu'un de demander à 'Ata' à propos de..., car je ne pouvais pas l'entendre.

Hadith n°10825 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ ، عَنِ ابْنِ جُرَيْجٍ قَالَ : أَمَرْتُ إِنْسَانًا يَسْأَلُ عَطَاءً عَنْهَا حَيْثُ لَا أَسْمَعُ ، إِنْ أُهْدِيَتْ إِلَيْهِ أُمُّ الرَّبِيبَةِ ، فَغَلَّقَ عَلَيْهَا ، وَلَمْ يَكُنْ مَسَّهَا ، أَيُحَرِّمُ ذَلِكَ الرَّبِيبَةَ إِذَا قَالَتْ : لَمْ يَفْعَلْ ؟ قَالَ : " نَعَمْ .


J'ai envoyé quelqu'un à 'Ata' avec la question à propos de...

Hadith n°13893 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ عَنِ ابْنِ جُرَيْجٍ قَالَ : أَرْسَلْتُ إِلَى عَطَاءٍ إِنْسَانًا فِي سَعُوطِ اللَّبْنِ الصَّغِيرِ وَكَحْلِهِ بِهِ أَيُحَرِّمُ ؟ قَالَ : " مَا سَمِعْنَا أَنَّهُ يُحَرِّمُ "


Motzki explique qu'il est absurde que Ibn Jurayj affaiblisse lui-même (en incluant un anonyme) certaines de ses chaînes qu'il aurait lui-même inventées...
Tout comme il est absurde (si Ibn Jurayj inventait les chaînes) que deux tiers des déclarations de 'Ata' soient transmises par la formule " 'an 'Ata' qala " (qui n'indique pas qu'il l'a entendu lui-même).

Motzki mentionne d'autres éléments de preuves. Ce qu'il appelle des "critères formels intrinsèques". Il en cite six :

1. Abd al-Razzaq rapporte aussi des opinions personnelles de Ibn Jurayj, or si Ibn Jurayj inventait, son but serait de citer des sources plus anciennes pour donner plus de poids à ce qu'il invente... (il ne donnerait pas son avis personnel mais l'attribuerait à des prédécesseurs célèbres).

2. Ibn Jurayj commente certaines narrations de 'Ata' en y apportant des explications ou même parfois en s'y opposant. Cela ne colle pas avec l'hypothèse de l'invention.

3. 'Ata' est la source principale de Ibn Jurayj. Or Ibn Jurayj rapporte parfois de 'Ata' par le biais d'une tierce personne.

4. Parfois Ibn Jurayj exprime du doute sur les mots précis ou le sens de ce qu'il rapporte de 'Ata'.

5. Ibn Jurayj rapporte parfois pour certaines narrations de 'Ata' différentes versions (parfois contradictoires !). Et il lui arrive d'ajouter que c'est également l'opinion de tel compagnon, sans donner de chaîne (alors que s'il inventait il pourrait inclure cela dans la narration de 'Ata').

6. Il cite des défauts de 'Ata' (pourtant sa source principale !) : ignorance, incertitude, changement d'opinion, contradiction.

Exemples d'ignorance :

Hadith n°11522 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ ، عَنِ ابْنِ جُرَيْجٍ قَالَ : قِيلَ لِعَطَاءٍ وَأَنَا أَسْمَعُ : رَجُلٌ تَظَاهَرَ مِنِ امْرَأَتِهِ فَلَمْ يُكَفِّرْ حَتَّى أَصَابَهَا ، قَالَ : " بِئْسَ مَا صَنَعَ ، يَسْتَغْفِرُ اللهَ ، ثُمَّ لِيَعْتَزِلْهَا حَتَّى يُكَفِّرَ ، قُلْتُ : هَلْ عَلَيْهِ مِنْ حَدٍّ أَوْ شَيْءٍ ؟ قَالَ : " مَا عَلِمْتُ "

Hadith n°12658 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ عَنِ ابْنِ جُرَيْجٍ قَالَ : قُلْتُ لِعَطَاءٍ : أَرَأَيْتَ لَوْ أَسْلَمَتِ امْرَأَةٌ وَزَوْجُهَا مُشْرِكٌ ، فَلَمْ تَنْقَضِ مُدَّتُهَا حَتَّى أَسْلَمَ ؟ قَالَ : " هُوَ أَحَقُّ بِهَا ، قُلْتُ : كَيْفَ وَقَدْ فَرَّقَ الْإِسْلَامُ بَيْنَهُمَا ؟ قَالَ : " لَا أَدْرِي وَاللهِ "

Motzki en conclut que la transmission de Ibn Jurayj d'après 'Ata' dans le musannaf de Abd al-Razzaq est authentique. Il précise aussi que Ibn Jurayj n'hésite pas à s'opposer à l'opinion de son professeur.

Selon Motzki, les narrations de 'Ata' (mort en 115) dans le musannaf peuvent donc être considérées comme des sources historiques fiables sur l'état du développement juridique à la Mecque durant la première décennie du deuxième siècle.]




V. (résumé et reformulé)

[Motzki se penche sur le cas de 'Ata' ibn Abi Rabah (tabi'i mort en 115), peut-on trouver des narrations authentiques chez lui ?
Seulement 20% de ses narrations sont des hadiths. Et 80% sont des ra'y.
Et parmi les narrations qui sont des "réponses" : 8% de hadiths contre 92% de ra'y.
Les sources de 'Ata' sont :
-les compagons (15%)
-le Coran (10%)
-le Prophète (5%)
-des narrations anonymes (3%)
-des contemporains (1,5%)

Motzki va s'intéresser aux compagnons et au Prophète.


LES COMPAGNONS.

Lorsque 'Ata' cite les compagnons dans ses réponses, il ne donne pas de chaîne et le texte est court. Dans ses déclarations le texte est plus long et il donne parfois une chaîne.
Ibn Abbas est le compagnon qu'il cite le plus. Parfois il précise qu'il l'a entendu, parfois non.

À propos de l'authenticité des narrations de 'Ata' d'après Ibn Abbas :

1. Dans ses réponses, 'Ata' cite très peu Ibn Abbas (2%).

2. Il y a parfois un intermédiaire entre 'Ata' et Ibn Abbas.

3. Parfois il cite Ibn Abbas pour le contredire.

Exemple, hadith n°11747 :
عَبْدُ الرَّزَّاقِ ، عَنِ ابْنِ جُرَيْجٍ ، عَنْ عَطَاءٍ قَالَ : " كُلُّ طَلَاقٍ كَانَ نِكَاحُهُ مُسْتَقِيمًا إِذَا تَفَرَّقَا فِي ذَلِكَ النِّكَاحِ ، وَإِنْ لَمْ يَتَكَلَّمْ بِالطَّلَاقِ فَهِيَ وَاحِدَةٌ ، الْمُبَارَأَةُ وَالْفِدَاءُ " إِلَّا أَنَّ ابْنَ عَبَّاسٍ لَمْ يَكُنْ يَقُولُ ذَلِكَ

4. Parfois 'Ata' est dans une situation d'élève avec 'Ata'.

5. Il y a très peu de hadiths (aucun dans l'échantillon de Motzki !). 'Ata' rapporte très peu de hadith du prophète via Ibn Abbas, alors qu'il est dit qu'il en a rapporté beaucoup (le nombre courant : 1660).

Selon Motzki, ces points (et d'autres) indiquent que les narrations [Abd al-Razzaq == Ibn Jurayj == 'Ata' ibn Abi Rabah == Ibn Abbas] sont fiables.

'Ata' n'emploie que très rarement " sama' " pour d'autres compagnons (pour Abu Huraira et Jabir ibn Abdullah par exemple).
Il ne l'emploie pas pour les autres, donc selon Motzki lorsqu'il l'emploie il faut considérer qu'il l'a vraiment entendu (donc que c'est vrai).

Après Ibn Abbas, c'est 'Umar ibn al-Khattab qui est le plus cité par 'Ata' dans les narrations de Ibn Jurayj (moins de 3%).
Ces narrations sont liées à son rôle de calife : jugements juridiques (aqdiya), ordonnances (interdictions ou ordres), réponses juridiques (fatawa), déclarations, et rarement des actes.
Ainsi elles diffèrent beaucoup des narrations de Ibn Abbas.

Selon Motzki 'Ata' ne les a pas inventées car elles sont marginales et parce qu'il ne les accepte pas toujours comme juridiquement contraignantes. La question est où les a-t-il entendues ? ('Ata' est né après la mort de 'Umar)
La plupart du temps 'Ata' ne donne pas de source. Parfois il emploie "dhakaru" (il [m']a été rapporté). Quelques fois il cite la source de qui il l'a entendu.
Des indices laissent penser que 'Ata' les a bien entendues, donc qu'elles étaient bien en circulation à l'époque des sources de 'Ata', mais ça ne veut pas dire qu'elles sont fiables.
Certaines des narrations de 'Ata' d'après 'Umar peuvent ainsi être datées avec certitude avant l'année 80 ou 70.
On arrive à la même conclusion avec les narrations de 'Ata' d'après 'A'isha et 'Ali.

Souvent (surtout dans ses réponses), 'Ata' cite des morceaux de narrations connues plus en détails dans d'autres sources. On peut supposer qu'il les connaissait entières.
Cela peut être utile pour dater des narrations.

Motzki donne un exemple (je le traduis entièrement sans reformuler).

Un exemple qui pourrait démontrer que cette méthode est utile pour l'étude du hadith est une narration anormalement longue à propos de l'allaitement des adultes, contenue dans chacune des deux plus importantes des différentes versions du Muwatta' de Malik préservées (la riwayat de Yahya ibn Yahya et la riwayat de Muhammad ash-Shaybani). Elle est composée de plusieurs narrations uniques : une du Prophète avec des informations supplémentaires, une autre à propos de 'A'isha, et une troisième concernant les autres femmes du Prophète. À cause de sa composition artificielle, elle ne semble pas coller à la structure des narrations habituelles de Malik. On est ainsi tenté de la considérer comme un ajout relativement tardif. Mais l'isnad de Malik nomme 'Urwa ibn al-Zubayr (mort entre 92 et 101) comme son auteur, et Ibn Shihab (mort en 124) comme son transmetteur et sa propre source. Selon l'avis de Schacht sur le développement juridique de cette question, l'origine des différentes parties de l'histoire ne peut pas être attribuée à Ibn Shihab ou à quelqu'un de sa génération, et la mention de 'Urwa doit, dans tous les cas, être considérée comme fausse. Plutôt, Schacht voit ici une contre-narration par le cercle des "traditionnistes" dont le but était de changer la doctrine établie. Si, d'un autre côté, on se réfère à une des réponses de 'Ata' concernant le même sujet, une bien autre image de l'historique de la question émerge. Selon elle [la réponse], 'Ata' - qui ne doit certainement pas être compté parmi les traditionnistes - tenait déjà l'opinion que l'allaitement des adultes était juridiquement valide, et, dans ce contexte, il fait référence à la pratique de 'A'isha : "kanat 'A'isha ta'muru bi-dhalika banati akhiha".

Musannaf Abd al-Razzaq, Hadith n°13888 :
أَخْبَرَنَا عَبْدُ الرَّزَّاقِ قَالَ : أَخْبَرَنَا ابْنُ جُرَيْجٍ قَالَ : سَمِعْتُ عَطَاءً يُسْأَلُ ، قَالَ لَهُ رَجُلٌ : سَقَتْنِي امْرَأَةٌ مِنْ لَبَنِهَا بَعْدَ مَا كُنْتُ رَجُلًا كَبِيرًا ، أَأَنْكِحُهَا ؟ قَالَ : " لَا . قُلْتُ : وَذَلِكَ رَأْيُكَ ؟ قَالَ : " نَعَمْ " قَالَ عَطَاءٌ : كَانَتْ عَائِشَةُ : " تَأْمُرُ بِذَلِكَ بَنَاتِ أَخِيهَا "

C'est lié, sans aucun doute, à la narration la plus détaillée de 'Urwa préservée dans le Muwatta'. On lit : " 'A'isha utilisait cela (cette méthode) dans les cas où elle voulait laisser des hommes lui rendre visite. Elle ordonnait à sa soeur Umm Kulthum bint Abi Bakr [...] et les filles de son frère (fa-kanat ta'muru ukhtaha Umm Kulthum [...] wa-banati akhiha) d'allaiter les hommes qu'elle voulait laisser entrer avec elle."
La narration concernant 'A'isha était ainsi déjà connue de 'Ata'. Lui et Ibn Shihab ont pris de la même source, car il est improbable que 'Ata' ait suivi des cours du plus jeune Ibn Shihab. D'après ce dernier, 'Urwa ibn al-Zubayr est l'auteur de l'histoire. Il était un contemporain légèrement plus âgé que 'Ata' et était sa source pour d'autres narrations. Il semble ainsi hautement probable que 'Urwa soit également la source de 'Ata'. Si tel est le cas, alors la narration à propos de 'A'isha contenue dans le Muwatta' doit être considérée comme une transmission authentique d'après 'Urwa datée à la seconde moitié du premier siècle après l'Hégire et non pas au milieu du siècle suivant.

Note de bas de page : Le mot arabe utilisé dans ces textes, arda'a, signifie vraiment "allaiter", dans ce cas spécial probablement en mélangeant le lait du sein avec des boissons ou de la nourriture. De cette façon, un "lien de lait" était créé qui avait le même statut légal qu'un lien de sang : les "proches de lait" étaient interdits de se marier les uns les autres ou d'avoir un rapport sexuel et pouvaient, ainsi, se mêler sans restriction.


LE PROPHETE.

[traduction à venir...]



VI. [à venir...]




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