Women and the Transmission of Religious Knowledge in Islam (Asma Sayeed)

LES FEMMES ET LA TRANSMISSION DU SAVOIR RELIGIEUX EN ISLAM.
(ASMA SAYEED)





Asma Sayeed est professeur d'études islamiques aux États-Unis.

Extrait d'une conférence :



Voici un résumé sélectif de son livre.
(Le début du résumé peut être moins complet que la suite car je n'avais pas encore prévu de le publier.)


SOMMAIRE :
CHAPITRE 1 : LES COMPAGNONNES.
CHAPITRE 2 : LES SUCCESSEURS.
CHAPITRE 3 : LE RENOUVEAU CLASSIQUE.
CHAPITRE 4 : UNE APOGÉE DANS LE TRADITIONNALISME.




CHAPITRE 1 : LES COMPAGNONNES.

Elles sont les femmes les plus influentes du début de l'islam. Leurs vies sont un modèle pour les musulmanes. Les fatwas de Muhammad les concernant sont la base d'un nombre incalcuable de règles.
En rapportant des hadiths, elles ont été auteures de textes qui sont devenus la deuxième source scripturaire des musulmans (auteures dans le sens où celui qui rapporte le hadith décrit le contexte de son point de vue, formule à sa façon, peut parfois commenter...).

(Dans ce chapitre Asma Sayeed dit avoir pris un échantillon de 112 compagnonnes. Ibn Hajar liste au total 1 545 femmes sur 12 304 compagnons (12,5%).)


LES FEMMES DE MUHAMMAD.

'A'ISHA.

Selon al-Mizzi dans Tuhfat al-ashraf bi-marifat al-atraf (comprend 6 livres), Aïcha rapporte 2093 hadiths.
Dans al-Musnad al-Jami', elle rapporte 1357 hadiths.
L'imam Ahmad rapporte environ 2400 hadiths de Aïcha.

Al-Mizzi liste environ 200 rapporteurs de Aïcha (dans les 6 livres).

Urwah dit à Aîcha qu'il n'est pas étonné par sa connaissance dans le fiqh et la poésie, mais par sa connaissance dans la médecine. Il lui demande d'où lui vient cette connaissance, elle répond que c'est parce qu'elle soignait le prophète durant sa maladie.
حَدَّثَنَا أَبُو مُعَاوِيَةَ عَبْدُ اللهِ بْنُ مُعَاوِيَةَ الزُّبَيْرِيُّ قَدِمَ عَلَيْنَا مَكَّةَ ، حَدَّثَنَا هِشَامُ بْنُ عُرْوَةَ قَالَ : كَانَ عُرْوَةُ يَقُولُ لِعَائِشَةَ : يَا أُمَّتَاهُ ، لَا أَعْجَبُ مِنْ فِقْهِكِ، أَقُولُ : زَوْجَةُ رَسُولِ اللهِ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ ، وَبِنْتُ أَبِي بَكْرٍ ، وَلَا أَعْجَبُ مِنْ عِلْمِكِ بِالشِّعْرِ وَأَيَّامِ النَّاسِ ، أَقُولُ : ابْنَةُ أَبِي بَكْرٍ وَكَانَ أَعْلَمَ النَّاسِ - أَوْ مِنْ أَعْلَمِ النَّاسِ - وَلَكِنْ أَعْجَبُ مِنْ عِلْمِكِ بِالطِّبِّ ، كَيْفَ هُوَ ؟ وَمِنْ أَيْنَ هُوَ ؟ [أَوْ : مَا هُوَ؟] قَالَ : فَضَرَبَتْ عَلَى مَنْكِبِهِ ، وَقَالَتْ : أَيْ عُرَيَّةُ ، إِنَّ رَسُولَ اللهِ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ كَانَ يَسْقَمُ عِنْدَ آخِرِ عُمْرِهِ - أَوْ فِي آخِرِ عُمْرِهِ - فَكَانَتْ تَقْدَمُ عَلَيْهِ وُفُودُ الْعَرَبِ مِنْ كُلِّ وَجْهٍ ، فَتَنْعَتُ لَهُ الْأَنْعَاتَ ، وَكُنْتُ أُعَالِجُهَا لَهُ ، فَمِنْ ثَمَّ .
Musnad Ahmad n°25018

Zuhri a dit : "Si la science de Aïcha était comparée à la science réunie des femmes du prophète et la science réunie des femmes, elle serait meilleure."
وَقَال الزُّهْرِيّ : لو جمع علم عائشة إلى علم جميع أزواج النبي صلى الله عليه وسلم وعلم جميع النساء، لكان علم عائشة أفضل.
Tahdhib al-kamal de al-Mizzi 35/235

Al-Zarkashi (792) a listé des récits où Aïcha a corrigé des compagnons et tabi'in dans al-Ijabah li-irad ma istadrakathu Aishah ala al-Sahabah. PDF arabe.

Par exemple, page 118, Aïcha corrige Abu Huraira sur la femme tourmentée pour ne pas avoir nourri un chat. Aïcha dit qu'elle devait être une mécréante car le croyant est trop noble pour être puni ainsi pour un chat. Et elle dit à Abu Huraira de faire attention à ce qu'il rapporte.

حَدَّثَنَا أَبُو دَاوُدَ ، قَالَ : حَدَّثَنَا صَالِحُ بْنُ رُسْتُمَ أَبُو عَامِرٍ الْخَزَّازُ ، قَالَ : حَدَّثَنَا سَيَّارٌ أَبُو الْحَكَمِ ، عَنِ الشَّعْبِيِّ ، عَنْ عَلْقَمَةَ ، قَالَ : كُنَّا عِنْدَ عَائِشَةَ ، فَدَخَلَ عَلَيْهَا أَبُو هُرَيْرَةَ ، فَقَالَتْ : يَا أَبَا هُرَيْرَةَ ، أَنْتَ الَّذِي تُحَدِّثُ أَنَّ امْرَأَةً عُذِّبَتْ فِي هِرَّةٍ لَهَا ، رَبَطَتْهَا لَمْ تُطْعِمْهَا وَلَمْ تَسْقِهَا ، فَقَالَ أَبُو هُرَيْرَةَ : سَمِعْتُهُ مِنْهُ ، يَعْنِي النَّبِيَّ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ ، فَقَالَتْ عَائِشَةُ : أَتَدْرِي مَا كَانَتِ الْمَرْأَةُ ؟ قَالَ : لَا ، قَالَتْ : إِنَّ الْمَرْأَةَ مَعَ مَا فَعَلَتْ كَانَتْ كَافِرَةً ، إِنَّ الْمُؤْمِنَ أَكْرَمُ عَلَى اللهِ مِنْ أَنْ يُعَذِّبَهُ فِي هِرَّةٍ ، فَإِذَا حَدَّثْتَ عَنْ رَسُولِ اللهِ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ فَانْظُرْ كَيْفَ تُحَدِّثُ
Musnad Abu Dawud n°1503

(Note personnelle : Ce récit est rapporté par un shaykh de Abu Dawud qui est jugé saduq.)

Un autre exemple lors des funérailles de Sa'd ibn Abi Waqqas où elle corrige les gens et les autres épouses du prophète sur la permission de faire la prière mortuaire dans la mosquée.
"Comme les gens oublient/critiquent vite...".
https://sunnah.com/muslim/11/128
https://sunnah.com/muslim/11/129


UMM SALAMA.

Umm Salama était la "chef" du "camp" comprenant Zaynab bin Jahsh, Umm Habiba, Juwayriya et Maymuna. (Aïcha était la "chef" de l'autre camp.)
Pour les chiites, Umm Salama est la meilleure épouse après Khadija.

Elle rapporte 175 hadiths avec répétitions dans al-Musnad al-Jami.

Lors de la bataille du chameau (36), Umm Salama supporte le camp de Ali et a prononcé un long discours en sa faveur.
Aïcha était avec les compagnons Talha et al-Zubayr.


LES AUTRES CO-ÉPOUSES.

Les 7 autres co-épouses :

-Zaynab bint Jahsh (20) : 7 hadiths
-Umm Habiba (44) : 22 hadiths
-Hafsa bint Umar (45) : 25 hadiths
-Safiyya bint Huyayy (52) : 8 hadiths
-Sawda bint Zam'a (54) : 4 hadiths
-Juwayriya bint al-Harith : 6 hadiths
-Maymuna bint al-Harith (61) : 37 hadiths

(Chiffres de al-Musnad al-Jami', qui comprend certaines répétitions, par exemple Maymuna en a 9.)


Aïcha est numéro 1 en nombre de hadiths, relativement loin derrière se trouve en n°2 Umm Salama, puis loin derrière les autres femmes.

Aïcha et Umm Salama étaient plus accessibles que les autres épouses. Elles avaient une vision plus souple sur la mixité.

Aïcha voyait le voyage sans mahram permis en cas de besoin.
Selon Abu Hanifa ça n'en fait pas une règle générale.

وقَدْ قِيْلَ لأبي حنيفة فإِنَّ عَائِشَةَ كَانَتْ تسافر بِلَا محرم
Il a été dit à Abu Hanifa que Aïcha voyageait sans mahram.
فَقَالَ: أَبُو حنيفة كَانَ النَّاس لعَائِشَة محرما مَعَ أيهم سافرت
Abu Hanifa a dit : Les gens avec qui elle a voyagé étaient mahram (car elle est la "mère des croyants").
فَقَدْ سافرت مَعَ محرم ولَيْسَ لغَيْرهَا من النِّسَاء كَذَلِكَ
~Elle a donc voyagé avec mahram, nulle autre femme n'est comme elle.

وقَالَ الطَّحَاوِيُّ فِي مَعَانِي الْآَثَار احْتَجَّ بخبر عَائِشَة هَذَا من لَمْ يشترط الْمُحْرِم فِي وُجُوْب الْحَجّ وَلَا حجة فِي قَوْل أَحَد مَعَ قَوْل النَّبِيّ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ لَا يَحِلّ لامرأة أن تسافر مسيرة ثَلَاثَة أَيَّام إِلَّا ومعها محرم قَالَ: وقَدْ قِيْلَ لأبي حنيفة فإِنَّ عَائِشَةَ كَانَتْ تسافر بِلَا محرم فَقَالَ: أَبُو حنيفة كَانَ النَّاس لعَائِشَة محرما مَعَ أيهم سافرت فَقَدْ سافرت مَعَ محرم ولَيْسَ لغَيْرهَا من النِّسَاء كَذَلِكَ.
al-ijaba, al-Zarkashi p.131-132


AUTRES FEMMES PARENTS.

Fatima la fille du prophète n'est morte que quelques mois après lui (11), elle n'a donc pas pu rapporter beaucoup de hadiths (7 dans al-Musnad).


AUTRES FEMMES IMPORTANTES DANS LA VIE DE LA PREMIÈRE COMMUNAUTÉ MUSULMANE.

Premières converties, et celles reconnues pour service rendu à Muhammad et sa famille.

Asma bint Abu Bakr est n°3 en nombre de hadiths.
Elle est la fille d'Abu Bakr, la soeur de Aïcha, et la mère de Urwah et de Abdullah ibn al-Zubayr.
Elle a vécu 100 ans, elle a perdu la vue avec l'âge.

4 points biographiques :
-elle apportait de la nourriture à son père et au prophète avant l'hijra
-sa relation maritale avec al-Zubayr (qui était dur)
-son refus d'accepter sa mère païenne comme visiteuse, jusqu'à ce que le prophète lui autorise
-sa défense de son fils Abdullah ibn al-Zubayr dont le corps a été décapité puis pendu pour intimider les rebelles à al-Hajjaj ibn Yusuf (95), le gouverneur omeyyade qui réprimait la révolte.

Asma rapporte 55 hadiths (dans al-Musnad).

Dans un hadith, le prophète lui propose de la ramener en chameau, elle refuse par crainte de la jalousie de al-Zubayr.
https://sunnah.com/bukhari/67/157

Umm Sulaym bint Milhan, était une esclave que le prophète avait hérité de son père. Elle a été libérée après le mariage du prophète avec Khadija, mais elle est restée s'occuper de leurs enfants.
Le prophète  était proche d'elle, il l'appelait sa mère.
Elle a participé à Uhud et à Khaybar (elle apportait de l'eau et s'occupait des blessés).
Elle était la mère de Anas ibn Malik (91).


Participantes aux batailles.

Umm Ayman, Nusayba bint Ka'b.


Le serment d'allégeance des femmes.

Par exemple Umayma bint Ruqayqah raconte l'allégeance.
https://sunnah.com/urn/418660

L'autre hadith qu'elle rapporte est que le prophète avait un récipient sous son lit pour uriner la nuit. Un soir une femme a bu l'urine. (Pour une étude de ce hadith : https://www.islamieducation.com/purity-and-cure-in-the-prophets-urine/)


Chercheuses ou objets de fatwas.

Barira est connue pour avoir fait connaître 3 règles.
https://sunnah.com/bukhari/70/58
Ibn Hajar a dit que les savants ont extrait plus de 300 règles de son hadith.

Fatimah bint Qays est connue pour la fatwa qui dit qu'il n'y a pas de logement ni pension pour la femme divorcée irrévocablement.
(Selon Aïcha et Umar, une femme divorcée triplement y a droit.)


CONCLUSION.

On a vu que la transmission de la science était ouverte aux femmes à l'époque des compagnons.
On ne regardait pas vraiment la popularité de la transmetteuse, mais plutôt l'utilité du hadith qu'elle rapportait. La plupart ne rapportent cependant que peu de hadiths. Les femmes respectaient les règles d'isolement des hommes, les deux exceptions sont Aïcha et Umm Salama qui ont été plus souples.



CHAPITRE 2 : LES SUCCESSEURS.

Il y a 525 hadiths dont le successeur qui rapporte est une femme.

Mais seulement 8 successeurs femmes ont plus de 1 ou 2 hadiths :

-Safiyyah bint Shaybah (morte à la fin des années 90)

Celles dont la connaissance du hadith est liée à un lien particulier avec une compagnonne :

-Zaynab bint Abi Salama al-Makhzumiyya (73)
-Amra bint Abd al-Rahman (98)
-Aisha bint Talha (101)
-Fatima bint al-Mundhir

Celles connues pour leur ascétisme :

-Umm al-Darda al-Sughra (81)
-Mu'adha bint Abd Allah (83)
-Hafsa bint Sirin (morte après 100)

(Asma Sayeed va s'attarder sur 4 d'entre elles dans ce livre, elle les a vues toutes ailleurs.)


SUCCESSEURS AVEC IMPORTANT LIEN DE PARENTÉ.


'Amra bint Abd al-Rahman. 66 hadiths.
Aicha est sa tante paternelle, elle a grandi sous sa garde.
Presque toutes ses narrations sont de aicha (63 sur 66, les 3 autres sont de trois autres femmes, mais dans d'autres livres il y a aussi des hommes, al-Mizzi en cite trois).

Hommes de sa famille qui rapportent d'elle :

-Muhammad ibn Abd al-Rahman (son fils)
-Abdullah ibn Abi Bakr ibn 'Amr ibn Hazm (130) (son neveu)
-Muhammad ibn Abd al-Rahman ibn Sa'd ibn Zurara (124) (autre neveu)
-Haritha ibn Abi al-Rijal (148) (petit fils)

Ibn Sa'd dit qu'elle est savante ('aalima) et cite Umar ibn Abd al-'Aziz qui a demandé à Abu Bakr ibn Muhammad ibn Hazm (neveu de 'Amra) de conserver le hadith prophète, la sunna passée, et le hadith de 'Amra.

Abu Bakr ibn Muhammad ibn Hazm l'a consultée sur la main d'un voleur.

Elle rapporte le hadith de Aïcha : "Si le prophète voyait ce que les femmes font il les empêcherait d'aller à la mosquée [...]" https://sunnah.com/muslim/4/161

(Cet ijtihad de Aïcha a été utilisé pour défendre l'avis qui dissuadait les femmes de la prière de groupe à la mosquée.)

C'est une des rares femmes qui est dite faqiha (et pas juste transmetteuse du savoir).

Considérée comme la source la plus fiable de Aïcha avec Urwah et Hisham.

Aisha bint Talha.
13 hadiths.
Nièce de Aïcha (fille de Umm kulthum).
'Alima, faqiha, mais plutôt littéraire (poésie, littérature). Charisme, beauté.

Abu Zur'a (280) (le critique de hadith) a dit : "Les gens rapportent d'elle à cause de ses mérites personnels, sa politesse et sa renommée dans les cercles littéraires."

وقال أبو زرعة الدمشقي عائشة بنت طلحة امرأة جليلة تحدث عن عائشة وتحدث الناس عنها بقدرها وأدبها
Tarikh dimashq de ibn 'asaakir 69/248

Connue pour être ouverte sur la mixité. Elle ne voulait pas cacher son visage pour cacher sa beauté.
Abu al-Faraj al-Isbahani dit qu'elle tenait compagnie aux hommes et les autorisait en sa présence, comme si elle en était un.

 نا يونس بن بكير عن ابن إسحاق عن أبيه قال دخلت على عائشة بنت طلحة وكانت لا تحتجب من الرجال تجلس وتأذن كما يأذن الرجل
Tarikh dimashq 69:253


Malgré ça, peu d'hommes rapportent d'elle. Surtout des membres de sa famille. Ses neuveux Talha ibn Yahya (148) et Mu'awiya ibn Ishaq  prédominent.


FEMMES ASCÈTES.

Umm al-Darda et Hafsa bint Sirin sont des pionnières dans l'ascétisme féminin.

Umm al-Darda, femme de Abu al-Darda (32).
23 hadiths.

Une des ascètes les plus respectées de la fin du premier siècle (d'après ibn Hibban, ibn 'Asakir, ibn al-Jawzi).

Elle a refusé une proposition de mariage à Mu'awiya, voulant être fidèle à son défunt mari, citant le hadith qui dit que la dernière épouse sur terre sera celle au paradis.

Ibn 'Asakir cite une narration où elle s'abille en robe d'ascète, fréquente la mosquée avec Abu al-Darda et prie dans le rang des hommes.

Elle assistait aux cercles de récitation du Coran, enseignait le Coran, jusqu'à ce que son mari lui ordonne de rejoindre les rangs des femmes.

Elle rapporte surtout de son mari, mais d'autres hommes aussi.

Beaucoup d'hommes rapportent d'elle, 22 d'après al-Mizzi.
Les juristes Maymun ibn Mihran (117) et Makhul al-Shami (112) rapportent d'elle.

Dhahabi, dans Tadhkirat al-huffaz, liste les transmetteurs les plus accomplis.
Une seule femme compagnonne : 'Amrah.
Une seule femme tabi'i : Umm al-Darda.

(Dhahabi dans Tadhkirat al-huffaz n'inclue que les personnes d'un rang très élevé dans le hadith.)

Hafsa bint Sirin (morte après l'an 100).
17 hadiths.

Ibn al-Jawzi dit que quand Muhammad ibn Sirin (110) (juriste, exégète, hadith, rêves, ascétisme) n'avait pas de réponse sur une question sur le Coran, il demandait à sa soeur Hafsa.

Elle rapporte surtout de Rabab bint Sulay' et Nusayba bint Ka'b.

Elle avait peut-être sa propre école de femme ascètes à Basra.

Al-Mizzi cite une narration où Iyas ibn Mu'awiya la considère plus fiable que son frère et que Hasan al-Basri.

Dhahabi dit qu'elle est faqiha.

C'est la dernière femme citée dans les chaînes de Bukhari.

Safiyya bint Shayba, Mecque.
34 hadiths.

Une des rares (ou seule) tabi'i femme à être considérée transmetteuse fiable sans avoir de lien de parenté avec une compagnonne ou être en connection avec un réseau d'ascètes.

Divergence sur est-elle une compagnonne ou une tabi'i (elle aurait peut-être vu le prophète, mais petite).

Seul Dhahabi dit qu'elle est faqiha. Elle est plutôt connue comme transmetteuse fiable, qui rapporte beaucoup des femmes du prophètes et d'autres femmes.

Dhahabi dit que quand elle rapporte de Muhammad, c'est une des narrations mursal les plus fortes.

رَوَتْ عَنِ النَّبِيِّ -صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ- فِي "سُنَنِ أَبِي دَاوُدَ" وَ"النَّسَائِيِّ"، وَهَذَا مِنْ أَقْوَى المَرَاسِيلِ
Siyar a'lam an-nubala' 3/508

Le prophète avait fait confiance en son père Shayba ibn 'Uthman pour les clés de la ka'ba.

Celui qui rapporte le plus d'elle est son fils Mansur ibn Abd al-Rahman al-Hajabi (137).

Elle rapporte le plus de Aïcha.

Un hadith où elle dit avoir entendu aicha :

حَدَّثَنَا عُبَيْدُ اللَّهِ بْنُ سَعْدٍ الزُّهْرِيُّ، أَنَّ يَعْقُوبَ بْنَ إِبْرَاهِيمَ، حَدَّثَهُمْ قَالَ حَدَّثَنَا أَبِي، عَنِ ابْنِ إِسْحَاقَ، عَنْ ثَوْرِ بْنِ يَزِيدَ الْحِمْصِيِّ، عَنْ مُحَمَّدِ بْنِ عُبَيْدِ اللَّهِ بْنِ أَبِي صَالِحٍ الَّذِي، كَانَ يَسْكُنُ إِيلْيَا قَالَ خَرَجْتُ مَعَ عَدِيِّ بْنِ عَدِيٍّ الْكِنْدِيِّ حَتَّى قَدِمْنَا مَكَّةَ فَبَعَثَنِي إِلَى صَفِيَّةَ بِنْتِ شَيْبَةَ وَكَانَتْ قَدْ حَفِظَتْ مِنْ عَائِشَةَ قَالَتْ سَمِعْتُ عَائِشَةَ تَقُولُ سَمِعْتُ رَسُولَ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم يَقُولُ ‏ "‏ لاَ طَلاَقَ وَلاَ عَتَاقَ فِي غَلاَقٍ ‏"‏ ‏.‏ قَالَ أَبُو دَاوُدَ الْغِلاَقُ أَظُنُّهُ فِي الْغَضَبِ ‏.‏
https://sunnah.com/abudawud/13/19

C'est la seule tabi'i femme mecquoise à avoir atteint une renommée dans la transmission hadith.


Conclusion sur les successeurs femmes :

Elles rapportent de peu de monde, sont surtout connues comme étant des transmetteuses fiables plutôt que des faqiha (excepté 'Amra et Umm al-Darda qui sont faqiha).

À la fin du 1er siècle ça s'arrête et il faut attendre 250 ans pour le retour des femmes.


LA DISPARITION DE LA PARTICIPATION DES FEMMES.

Certains n'ont pas remarqués la diminution des femmes.
Par exemple Sidiqqi dans Hadith Literature écrit : "À toute période de l'histoire musulmane, ont vécu de nombreuse éminentes femmes traditionnistes, traitées par leurs frères avec révérence et respect."

Certains savant ont remarqué la diminution de la participation des femmes mais n'ont pas poussé la réflexion plus loin.

Toujours dans al-Musnad :

2065 hadiths rapportés par des compagnonnes.
525 hadiths par des femmes tabi'i (ou 250 si on retire les 275 fois ou une tabi'i rapporte de Aïcha ou de Umm Salama).

Les femmes rapportent 12% des hadiths à la génération des compagnons, contre seulement 3% lors des générations suivantes jusqu'à fin 3e siècle (si on exclue Aïcha et Umm Salama, c'est respectivement 3% et 1%).

Aïcha : 1370 hadiths (représente 66% des hadiths rapportés par des compagnonnes)
Umm Salama : 175 hadiths.

Il y a une telle différence entre elles et les autres femmes (en nombre de hadiths) qu'il est pertinent de ne pas les prendre en compte, ainsi :

Il reste 520 hadiths de compagnonnes.
Et 525 hadiths parmi les 11 prochaines générations (jusqu'à fin 3e siècle).

Dans les chaïnes, parmi les liens n°2 à n°4 il y a 276 femmes, dont :

244 sur le lien n°2 (tabi'in, mais parfois pas)
30* sur le lien n°3 (dont 28 ont juste un hadith, et les 2 autres deux hadiths)
2 sur le lien n°4 (un seul hadith chacune, ibn Hajar dit : laa yu'raf halu-ha)
0 à partir du lien n°5

*(la moitié sont majhul dans les livres de rijal, seulement 2 sont très fiables (thiqah) : Karima bint al-Miqdad et Umm al-Aswad, 5 sont acceptables (maqbula))


Nombre de femmes par génération à partir du lien n°2, selon les générations définies par ibn Hajar :




D'après les données de Asma Sayeed, sur 276 femmes (à partir du lien n°2) 223 sont dans un seul isnad (environ 80%).

Nombre de femmes transmetteuses (après les compagnonnes) en fonction du nombre de hadiths qu'elles rapportent :



(Rq : 5 femmes rapportant entre 21 et 66 hadiths ne sont pas sur le schéma car sinon il serait trop large)


On remarque que les femmes rapportent très peu de hadiths.

Il y a encore des femmes au 2e siècle mais leur poids est insignifiant, on peut donc dater l'implication significative des femmes dans la transmission de la science religieuse à la fin du 1er siècle.

Il y a seulement 2 descendantes de 'Ali :

-Fatima bint al-Husayn ibn 'Ali (110) : 7 hadiths
-Fatima bint 'Ali ibn Abi Talib (117) : 2 hadiths

Sukayna bint al-Husayn (117) n'est étrangement pas présente, peut-être la conséquence du sectarisme.


COMPARAISON DE PREUVE PAR L'ISNAD AVEC DES SOURCES HISTORIQUES SUPLÉMENTAIRES.

Est-ce que les chaînes sont représentatives de la participation des femmes ? Ou bien sont-elles une sélection des auteurs des compilations qui a déformé la réalité ?

At-Tabaqat de ibn Sa'd confirme que les chaînes sont représentatives, car at-Tabaqat date d'avant les compilations.

Ibn Sa'd ne fait pas trop d'éloges sur les femmes comparé aux biographes ultérieurs, ça confirme selon Asma Sayeed qu'il y avait peu de femmes à son époque (168-230) et donc qu'il n'a pas ressenti le besoin de s'étendre sur elles.

Les livres de rijal confirment la diminution des femmes.
Ibn Hibban liste environ 200 femmes de la génération des compagnons.
86 tabi'in.
10 atba al-tabi'in.
2 man rawa 'an taba' al-tabi'in.

Ta'rikh Dimashq de ibn 'Asakir comporte 125 femmes et confirme que les compagnonnes et tabi'in dans la transmission du hadith sont beaucoup plus nombreuses que les femmes dans les générations suivantes, jusqu'au 5e siècle. Il cite cependant des femmes poétesses ou ascétes du 2e, 3e siècle (donc la dimunition a surtout touché le hadith).

En résumé :
-un certain nombre de femmes sont présentes dans les 2 premiers liens (années 11-95)
-beaucoup moins dans les liens n°3 et n°4 (95-180)
-il n'y a plus de femme, jusqu'aux compilations sélectionnées (180-311)

Autrement dit, diminution au premier siècle, puis négligeable jusqu'au début du 4e.

Dans les livres biographiques comme Ta'rikh dimashq on note une petite participation des femmes au début du 5e siècle.


EXPLIQUER LE DÉCLIN.

Facteurs du déclin des femmes :

1. L'évolution de la transmission du hadith en un champ de spécialité avec des standards plus hauts et un examen plus grand de la qualification des transmetteurs de hadith.

2. Le débat entre les partisans des récits prophétiques (ahl al-hadith) et leurs opposants sur l'utilisation du hadith comme source première de la loi et de la croyance.

3. L'augmentation des voyages pour collecter les hadiths (rihla fii talab al-'ilm) comme pilier de la transmission du hadith.

Thèse principale : l'évolution des usages sociaux de la science religieuse au cours de l'histoire islamique a fortement impacté le rôle des femmes (diminuant ou augmentant leur participation dans le champ public).

Ibn Sirin a dit que les chaînes ont commencé à être citées après la "fitna" :
حَدَّثَنَا أَبُو جَعْفَرٍ، مُحَمَّدُ بْنُ الصَّبَّاحِ حَدَّثَنَا إِسْمَاعِيلُ بْنُ زَكَرِيَّاءَ، عَنْ عَاصِمٍ الأَحْوَلِ، عَنِ ابْنِ سِيرِينَ، قَالَ لَمْ يَكُونُوا يَسْأَلُونَ عَنِ الإِسْنَادِ، فَلَمَّا وَقَعَتِ الْفِتْنَةُ قَالُوا سَمُّوا لَنَا رِجَالَكُمْ فَيُنْظَرُ إِلَى أَهْلِ السُّنَّةِ فَيُؤْخَذُ حَدِيثُهُمْ وَيُنْظَرُ إِلَى أَهْلِ الْبِدَعِ فَلاَ يُؤْخَذُ حَدِيثُهُمْ ‏.‏
https://sunnah.com/muslim/introduction/26

Divergence sur de quelle fitna il s'agit :
-assassinat d'Uthman (35)
-bataille du chameau (35)
-révolte de Abdullah ibn al-Zubayr (64)

Des qussas (conteurs) et prêcheurs inventaient des hadiths (pour la morale car ils n'y voyaient pas de mal, ou pour la politique), d'où la nécessité de s'assurer de la fiabilité des transmetteurs.

Cela a engendré une "professionnalisation" du hadith, qui a été un obstacle pour les femmes :

1 : le transmetteur devait avoir une perspicacité juridique quand il rapportait une narration
2 : les élèves doivent apprendre par transmission orale et par contact direct avec le professeur
3 : les élèves doivent consacrer leurs ressources et temps à l'apprentissage religieux et acquérir autant de hadiths que possible durant leur vie

1 -> L'entrainement juridique est problématique pour les femmes, car en plus de devoir être familiarisé avec le discours juridique et les règles, il faut aussi connaitre la grammaire arabe, la morphologie et la rhétorique. Les femmes n'avaient pas les moyens ou le temps.

2-> La transmission orale sert à éviter les erreurs (car les copies sont sans voyelles). Le professeur lit le texte et l'élève écoute et revoit sa propre copie. Pour les femmes, problème de mixité.

3-> Durant le 2e et 3e siècle, les savants demandaient aux élèves de chercher le hadith seulement après avoir prouvé une bonne maîtrise de l'arabe et la capacité de mémoriser et rapporter les textes fidèlement.

Selon al-Ramahurmuzi (360), les basriens encourageaient le début de l'étude du hadith vers l'âge de 10 ans, les kuffiens vers 20 ans, et les syriens vers 30 ans. (Obstacle pour les femmes car jeunes elles ont des obligations familiales, et pas d'autonomie financière.)

La professionnalisation est largement attestée au 2e et 3e siècle. L'opinion de beaucoup de savants est reflétée par la parole de ibn Sirin :

"Cette science (les hadiths) est une religion, alors voyez de qui vous rapportez."
قَالَ: أَخْبَرَنَا مُحَمَّدُ بْنُ عَبْدِ اللَّهِ الأَنْصَارِيُّ عَنِ ابْنِ عَوْنٍ عَنْ مُحَمَّدِ بْنِ سِيرِينَ أَنَّهُ كَانَ يَقُولُ: إِنَّ هَذَا الْعِلْمَ دِينٌ فَانْظُرُوا عَنْ مَنْ تَأْخُذُونَهُ.
At-Tabaqat 7/144

Savants avec des standards exigeants dans l'étude et critique de l'évaluation du hadith :

2e siècle :
-Amir ibn Sharahil al-Sha'bi (103)
-Muhammad bn Sirin (110)
-Abu Bakr ibn Muhammad ibn Hazm (120)
-'Amr ibn Dinar (126)
-Al-'Awza'i (157)
-Sufyan al-Thawri (161)
3e siècle :
-Yahya ibn Ma'in (233)
-'Ali ibn al-Madini (234)
-Ahmad ibn Hanbal (241)
-Abu Zur'a al-Dimashqi (280)
-Abu Hatim al-Razi (277)

Ils ont fixé des critères exigeants pour l'étude et transmission du hadith.

Asma Sayeed remarque qu'ils n'ont pas eu de professeurs ou élèves femmes.


Suyuti, dans Tanwir Al Hawalik Charh Muwatta Malik cite l'imam Malik :

"J'ai rencontré des gens à Médine qui, si on leur avait demandé de prier pour la pluie, leur prière aurait été répondue. Et (bien que) ils ont (aussi) entendu beaucoup par le biais de la science et du hadith, j'ai jamais transmis (quoi que ce soit) d'eux. (Cela) parce qu'ils étaient occupés avec la crainte d'Allah et l'ascétisme. Cette affaire, c'est-à-dire, enseigner le hadith et prononcer les décisions juridiques, requiert des hommes qui sont conscients d'Allah, ayant du scrupule moral, précision, savoir et compréhension, de façon à savoir ce qui sort de leurs têtes et ce qu'en seraient les futurs résultats. Quant aux pieux qui ne possèdent pas l'exactitude ou le savoir, nul bénéfice peut venir d'eux, ni ils peuvent fournir de preuves juridiques valides, ni le savoir doit être pris d'eux."

Cette citation montre la formation d'une élite de savants.


Au 1er et 2e siècle, l'opinion des Ahl al-hadith (comme quoi les hadiths sont une source de loi après le Coran) n'était pas encore largement répandue.

Il y avait un débat sur l'usage du hadith pour la loi et la théologie.

Le sceptiscisme sur l'utilisé du hadith n'était pas seulement présent chez les mu'tazilites mais aussi
chez d'anciens chiites, hanafites, malikites et kharijites.

Al-Nazam (230), ancien mu'tazilite, ne reconnaissait que le Coran et la raison.
(Note d'un lecteur du blog : Il est faux de dire qu’il rejetait les hadith et qu’il ne considérait que le Coran et la raison. Il rejetait certains hadith et non pas tous. En revanche, il rejetait le consensus et l’analogie.)

Un autre mu'tazilite, Al-Balkhi, donne l'exemple de Mughira ibn Miqsam (un kuffien) qui a remarqué que les savants avaient de la réticence envers les narrations des femmes autres que les épouses du prophète.

Ce sentiment se retrouve aussi dans des sources non-mu'tazilites, par exemple ibn al-Barr (5e siècle) cite une narration similaire de Yahya ibn Dinar (122). Al-Zarkashi rapporte dans Bahr al-muhit fi usul al-fiqh qu'il est dit que Abu Hanifa n'acceptait pas dans les affaires religieuses les narrations de femmes autres que Aïcha et Umm Salama.

Il y avait aussi un débat sur le hadith rapporté par un seul transmetteur (khabar al-wahid).
Certains ne voulaient pas l'utiliser pour la loi et la croyance. Un savant a suggéré que 20 transmetteurs à chaque génération étaient nécessaires.

D'autres ont dit que les critères pour le témoignage (shahada) devraient aussi s'appliquer à la transmission du hadith (riwaya).

(Du verset 2/282, les savants ont déduit que le témoignage d'un homme équivalait à celui de deux femmes dans beaucoup de cas.)

Une confirmation que les critères stricts ont été un obstacle pour les femmes :

Dans le Sahih d'al-Bukhari, il y a seulement 40 femmes dans les chaînes sur 7395 hadiths.
Chez Abu Dawud (moins strict, il inclue les majhulat), il y a environ 170 femmes sur 5270 hadiths.

Comparaison du nombre de femmes dans les chaînes, par lien :
              Bukhari  Abu Dawud
lien n°1         29        64
lien n°2         13        89
lien n°3           2        12   
lien n°4           0          1

Outre la diminution des femmes au fil des générations, on remarque que al-Bukhari (qui a des critères plus stricts) rapporte moins de hadiths avec des femmes présentes dans les chaînes. Les critères stricts ont donc bien eu un effet sur la présence des femmes. De plus, tous les compilateurs de hadiths sont des hommes.


LES RIHLAS ET LE VOYAGE DES FEMMES.

Un autre facteur est la nécessité d'entreprendre de longs voyages pour le hadith (datée au milieu du 2e siècle d'après Juynboll).

Al-Khatib al-Baghdadi a parlé de l'importance du rihlas (voyage) pour le hadith dans Ar-Rihla fi Talabi al Hadith.

Selon Juynbool, ça remonte au maximum au milieu du 2e siècle, car il existe une narration qui dit que Ma'mar ibn Rashid (mort en 153) est le premier à avoir fait des rihlas uniquement pour le hadith.

Cela coïncide avec la diminution des femmes dans la transmission.

Le rihla sert notamment à entendre directement le hadith de la personne. C'est devenu important pour la carrière du transmetteur à cause des critères durcis.

Abdullah le fils de Ahmad a demandé à son père s'il est mieux pour celui qui recherche le savoir de rester en compagnie d'un savant et enregistrer ce qu'il sait, ou bien voyager dans différents endroits et écouter de beaucoup de savants.
Ahmad lui a dit qu'il était mieux pour lui d'enregistrer le savoir des kuffiens, basriens, médinois et mecquois directement de leurs savants.

Selon Yahya ibn Ma'in, celui qui se limite aux savants d'une région sans faire de rihlas pour le hadith est parmi les quatre types de personnes de qui on ne peut pas recueillir de savoir religieux.

Il y avait divergence sur l'obligation du hajj pour la femme qui n'a pas de mahram.
Ibn Abi Shaybah cite l'accord de la majorité des savants qu'il n'est pas obligatoire (il cite des narrations de al-Hasan al-Basri, Ibrahim an-Nakha'i, 'Amir ibn Sharahil al-Sha'bi, Tawus, 'Ikrima, 'Umar ibn Abd al-'Aziz...).
Il cite 2 savants qui ont dit que dans ce cas elle peut faire le hajj dans un groupe de femmes garantissant leur sécurité (al-Hasan al-Basri et ibn Sirin). Malik et Shafi'i donnent le même avis dans leurs livres (Muwatta' et al-Umm).

Selon Aïcha, la femme peut voyager si elle n'a pas de mahram en cas de nécessité (pas seulement pour le hajj). "Pas toutes les femmes ont un mahram".
أَبُو بَكْرٍ قَالَ: نا وَكِيعٌ، عَنْ يُونُسَ، عَنِ الزُّهْرِيِّ قَالَ: ذُكِرَ عِنْدَ عَائِشَةَ الْمَرْأَةُ لَا تُسَافِرُ إِلَّا مَعَ ذِي مَحْرَمٍ، فَقَالَتْ عَائِشَةُ: لَيْسَ كُلُّ النِّسَاءِ تَجِدُ مَحْرَمًا
Musannaf ibn Abi Shayba n°15176

Le rihla a donc fait diminuer la participation des femmes du milieu 2e siècle jusqu'à environ le 5e siècle quand la mise à l'écrit était de plus en plus acceptée.

(Selon Leila Ahmed, la liberté des femmes a diminué à cause d'emprunts aux cultures mésopotamiennes et influences du patriarcat des autres religions juive chrétienne et zoroastrienne.
Asma Sayeed répond que cela ne peut pas s'appliquer au hadith car il y a eu des femmes ascètes réputées et acceptées dans la transmission de la science (Umm al-Darda, Mu'adhah, Hafsa bint Sirin...) à Damas et Basra alors qu'il y avait une forte influence chrétienne. Et à Médine et la Mecque : Amra, Fatima bint al-Mundhir, Zaynab bint Abi Salama (grâce à leurs liens avec des sahaba).)


CONCLUSION.

À partir des hadiths sont déduits la loi. Il était donc important d'imposer des critères (discernement juridique, transmission directe face-à-face, rihla), ce qui a conduit à la diminution de la participation des femmes dans la transmission du hadith.



CHAPITRE 3 : LE RENOUVEAU CLASSIQUE.

(4e-5e siècle)

À la moitié 4e siècle, après une absence de 250 ans, les femmes sont incorporées à nouveau comme transmetteuses de hadith respectées.

Dans Ta'rikh dimashq (de ibn 'Asakir)
50 femmes aux deux premiers siècles,
2 femmes aux 3e et 4e siècles,
15 femmes aux 5e et 6e.

Dans Siyar a'la an-nubala' (de Dhahabi) ;
35 femmes environ aux deux premiers siècles,
2 femmes aux 3e et 4e siècles,
14 femmes aux 5e et 6e.
10 femmes au 7e siècle.

(Asma Sayeed compte juste les femmes connues pour la transmission du hadith, sinon il y aurait au total environ 100 femmes.)

Il est rare de trouver des femmes professeurs de al-Awza'i, Sufyan al-Thawri, Yahya ibn M'a'in (2e, 3e siècle), mais on en trouve après le 4e siècle.
Al-Baghdadi, ibn 'Asakir, et Dhahabi ont eu des professeurs femmes.Al-Sam'ani (562) a transmis de 69 femmes.

Avant, les femmes rapportaient souvent 1 ou 2 hadiths. Maintenant elles peuvent rapporter des collections comme Sahih al-Bukhari, Sahih Muslim, ou des petites collections comme des arba'inat (40 hadiths), ou autres travaux.

Le terme muhadditha (au lieu de simple rawiya) est de plus en plus employé.

(Techniquement, un muhhadith est un savant ayant la connaissance du hadith et de sa critique, mais en réalité ça a plutôt désigné toute personne qui rapporte une collection de hadith, même sans connaissance des sciences du hadith.)

Rq : Dans les anciennes biographies on parle davantage de la participation des femmes au combat (comme dans at-Tabaqat de ibn Sa'd), puis dans les biographies plus tardives on en parle moins et on s'intéresse davantage aux femmes comme transmetteuses.
Selon Asma Sayeed, ce changement a aidé à réintroduire femmes comme transmetteuses (car les femmes compagnonnes modèles étaient décrites désormais comme des transmetteuses).

Dans ce chapitre, Asma va prendre deux exemples de femmes : Karima al-Marwaziyya (365-463) et Fatima bint al-Hasan bin Ali al-Daqqaq (391-480).


LES RAISONS DU RENOUVEAU.

1. Dernier quart du 3e siècle : l'acceptation des sahihayn se répand. Stabilisation dans le champ de la transmission du hadith. Fermeture des "portes de la découverte du hadith", les critères diminuent, ouverture du champ à des non spécialistes (donc notamment les femmes).

2. Jusqu'au début du 2e siècle, transmission orale (l'écriture n'était qu'une aide à la mémoire). Au 4e siècle, transmission plutôt écrite. Des savants défendent toujours la supériorité de l'oral, mais ce n'est que théorique. L'augmentation des femmes est donc une conséquences involontaire de l'évolution de la forme de transmission du hadith.

3. A partir du 3e siècle, l'autorité abbasside se fragmente de plus en plus. Face à l'instabilité politique, socio-économique et militaire, se développent des "réseaux de parenté" de savants pour préserver la culture de l'élite savante. Les femmes ne sont plus juste des transmetteuses mais deviennent une partie du capital culturel et social qui a permis la survie sociale et la prospérité de l'élite savante. L'éducation des femmes étant devenue prioritaire, ça a en partie dépassé l'obstacle de la mixité.

La participation des femmes était la bienvenue. L'éducation des femmes se traduisant par du capital social, leur contribution était de plus en plus glorifiée dans les tabaqat et autre littérature historique.

Karima al-Marwaziyya est un exemple des effets de la canonisation et propagation de la transmission écrite. Fatima bint al-Hasan, elle, de l'impact positif de l'évolution de l'organisation sociale des savants et leur dépendance croissante aux réseaux de parenté pour défendre et perpétuer l'identité "savante".


KARIMA AL-MARWAZIYYA (365-463), MECQUE.
كَرِيمَةُ بِنْتُ أَحْمَدَ بْنِ مُحَمَّدٍ الْمَرْوَزِيّ

Une des première femmes importantes après leur absence pendent deux siècles et demi.
Une des muhaddithas les plus respectées de son temps. Son statut est dû à sa transmission du Sahih d'al-Bukhari.

Abd al-Ghafir ibn Isma'il al-Farisi (451-529), seul biographe contemporain à elle, dit :

امْرَأَةٌ عَفِيفَةٌ صَالِحَةٌ مَشْهُورَةٌ
Femme chaste, vertueuse et célèbre.
وَرَوَتْ (صَحِيحَ الْبُخَارِيِّ) عَنِ الْكُشْمِيهَنِيِّ
Elle a rapporté le Sahih d'al-Bukhari d'après al-Kushmihani (389).
وَسَمِعَتْ عَنْ أَبِي عَلِيٍّ زَاهِرِ بْنِ أَحْمَدَ السَّرْخَسِيِّ وَعَنْ طَبَقَةِ الْمَشَايِخِ
Elle a entendu (le hadith) de Abu 'Ali Zahir ibn Ahmad al-Sarakhsi (389) et de sa génération de professeurs.
وَأَجَازَتْ لَنَا بِجَمِيعِ مَسْمُوعَاتِهَا
Elle nous a donné une ijaza pour tout ce qu'elle a entendu.
وَتُوُفِّيَتْ بِمَكَّةَ
Elle est morte à la Mecque.
رَوَى عَنْهَا أَبُو عَبْدِ اللَّهِ الْفَارِسِيُّ
Abu Abdullah al-Farisi (448, grand-père de Abd al-Ghafir) a rapporté d'elle.
(Al-Muntakhab 467)

Dhahabi :
وَكَانَتْ إِذَا رَوت قَابلت بِأَصلِهَا، وَلَهَا فَهْمٌ وَمَعْرِفَة مَعَ الخَيْر وَالتَّعبد
روتِ (الصَّحِيْح) مَرَّات كَثِيْرَة؛ مرَّةً بقِرَاءةِ أَبِي بَكْرٍ الخَطِيْب فِي أَيَّامِ المَوْسِم، وَمَاتَتْ بِكراً لَمْ تَتزوَّج أَبَداً
Siyar, 18/233

Karima n'a jamais été mariée et elle avait des critères sévères dans la transmission du hadith. Dhahabi cite une anecdote :

قَالَ أَبُو الغَنَائِمِ النَّرْسِيّ: أَخَرَجَتْ كَرِيْمَةُ إِلَيَّ النُّسْخَة (بِالصَّحِيْح)
Abu al-Ghana'im an-Narsi a dit : Karima a apporté une copie (du Sahih).
فَقَعَدتُ بحذَائِهَا، وَكَتَبتُ سَبْعَ أَورَاق، وَقرَأْتُهَا
Je me suis assis en face d'elle et j'ai écrit sept feuilles et je lui ai lu.
وَكُنْتُ أُرِيْد أَنْ أُعَارِضَ وَحْدي
Je voulais comparer moi-même (ma copie avec la sienne).
فَقَالَتْ: لاَ حَتَّى تُعَارض مَعِي
Elle a dit : Pas avant que tu aies comparé avec moi.
فَعَارَضْتُ مَعَهَا
Alors j'ai comparé avec elle.
(Siyar 18/234)

(Ce type de transmission (un élève qui lit le texte à son professeur et ils vérifient ensemble pour les erreurs) est appelé 'ard, plus connu sous le nom de qiraa'a.)

Sa date de naissance et de mort ont été déduites par des biographes postérieurs. Al-Farisi ne donne les dates que pour 5 femmes sur 26. Les deux siècles suivants il y a eu une quête à l'isnad le plus court et les dates sont devenues plus importantes et donc précisées.

Ibn al-Athir a dit qu'elle avait les meilleurs isnads pour le Sahih d'al-Bukhari et n'a pas été surpassée avant Abu al-Waqt (553).

Une reconstruction du réseau d'élèves et professeurs de Karima la place dans une élite savante de Khurasan, révèle des liens aux savants d'autres centres urbains majeurs et ainsi clarifie sa renommée.

Trois savants de hadith importants de Karima :
-Muhammad ibn Makki al-Kushmihani
-Zahir ibn Ahmad al-Sarakhsi
-Abdullah ibn Yusuf ibn Bamawayh (409)

(Si Karima est bien née vers 365, elle devait avoir dans les 20, 30 ans à la mort de ces professeurs.)

A partir du 7e siècle, on emmenait des enfants très jeunes dans les assemblées de shaykhs âgés, ça raccourciçait les isnads. Pour Karima (qui date d'avant) il est cependant possible qu'elle ait appris de ses shouyoukh en étant assez âgée pour assimiler ce qu'elle apprenait.

Karima rapporte le Sahih d'après al-Kushmihani. Qui lui le rapporte d'après Abu Abdullah al-Firabri (320). Qui lui l'a entendu directement de Bukhari deux fois.
Karima avait donc un isnad avec seulement deux intermédiaires avec Bukhari, d'où sa renommée.
(Elle a vécu plus longtemps que la plupart des élèves d'al-Kushmihani (environ 100 ans d'après Dhahabi). Par exemple al-Harawi (355-434) est mort trente ans avant Karima, donc les chaînes passant par lui ont un intermédiaire de plus et ont moins de valeur. D'après as-Sam'ani, c'est Muhammad ibn Musa ibn Abdullah al-Saffar al-Marwazi (471) qui est le dernier a rapporter d'al-Kushmihani, mais il y a des doutes s'il l'a vraiment entendu, et il n'a pas acquis la réputation de Karima pour son isnad.)

Parmi ses élèves :
-al-Khatib al-Baghdadi (shafi'ite)
-Mansur ubn Muhammad al-Sam'ani (489, hanafite, plus tard devenu shafi'ite, grand-père de Abd al-Karim al-Sam'ani plus connu)
-Nur al-Huda al-Husayn ibn Muhammad (512, hanafite)

Al-Khattib al-Baghdadi a dû parler d'elle à Baghdad.
Comme elle était à la Mecque on la rencontrait lors de pélerinages, comme Julahir ibn Abd al-Rahman al-Tulaytuli (malikite) qui a entendu le hadith d'elle en 452 lors d'un pélerinage.

Muhammad ibn Ali al-Hamadani est parti en pélerinage en 463 et a appris sa mort en chemin. Il n'a pas pu la rencontrer et obtenir d'ijaza.

Rq : La canonisation de livres comme le muwatta' ou les sahihayn a eu lieu des décennies ou siècles après leur date, après que les savants aient débattu dessus. Ils ont aussi été critiqués ou modifiés. Par exemple par al-Hakim (405) dans al-Mustadrak 'ala al-Sahihayn ou al-Daraqutni (385) dans Kitab al-Ilzamat wa'l-Tatabbu'.
Les sahihayn ont plus tard été canonisés, au point où Ibn al-Salah (7e siècle) a dit qu'il n'était plus possible d'ajouter aux sahihayn. Certains comme Ibn Hajar ont contesté cela.

Après les sahihayn, les critères pour être un transmetteur ont baissé. Moins d'importance à la maîtrise des sciences du hadith, il s'agit simplement de transmettre des travaux existants avec des chaînes les plus courtes.

Al-Khatib al-Baghdadi dans An-Nukat 'Ala Kitab (p.94) explique qu'un non spécialiste peut être un transmetteur :
وَمَنْ لَمْ يَرْوِ غَيْرَ حَدِيثٍ أَوْ حَدِيثَيْنِ , وَلَمْ يُعْرَفْ بِمُجَالَسَةِ الْعُلَمَاءِ وَكَثْرَةِ الطَّلَبِ , غَيْرَ أَنَّهُ ظَاهِرُ الصِّدْقِ مَشْهُودٌ لَهُ بِالْعَدَالَةِ , قُبِلَ حَدِيثُهُ , حُرًّا كَانَ أَوْ عَبْدًا , وَكَذَلِكَ إِنْ لَمْ يَكُنْ مِنْ أَهْلِ الْعِلْمِ يَعْنِي مَا رَوَى , لَمْ يَكُنْ بِذَلِكَ مَجْرُوحًا , لِأَنَّهُ لَيْسَ يُؤْخَذُ عَنْهُ فِقْهُ الْحَدِيثِ , وَإِنَّمَا يُؤْخَذُ مِنْهُ لَفْظُهُ , وَيُرْجَعُ فِي مَعْنَاهُ إِلَى الْفُقَهَاءِ فَيَجْتَهِدُونَ فِيهِ بِأرَائِهِمْ

Il fait aussi remarquer que les anciens savants acceptaient les femmes :
وَقَدْ قَبِلَ عُلَمَاءُ السَّلَفِ مَا رَوَاهُ النِّسَاءُ وَالْعَبِيدُ وَمَنْ لَيْسَ بِفَقِيهٍ , وَإِنْ لَمْ يَرْوِ أَحَدُهُمْ غَيْرَ حَدِيثٍ أَوْ حَدِيثَيْنِ
Les anciens savants acceptaient les narrations de femmes, esclaves, et ceux qui n'étaient pas connus pour leur expertise juridique, même s'ils ne rapportaient que un ou deux hadiths.

Rq : Les manuels de hadiths datent d'après la canonisation des compilations de hadiths, et ils sont tous d'accord que la riwaya (transmission) d'une femme est acceptable, mais que ce n'est pas pareil pour son témoignage (shahada).

Les transmetteurs doivent authentifier les copies de livres de hadiths de leurs élèves. Trois moyens :
-lecture publique de leur propre copie authentifiée
-écouter les élèves lire leur copie à haute voix
-donner une ijaza écrite sur tel livre, tant que leur copie ne contient pas d'erreur.

Prolifération de la transmission écrite. Par exemple al-Farisi dit qu'il a reçu de Karima la ijaza pour tout ce qu'il a entendu d'elle. وَأَجَازَتْ لَنَا بِجَمِيعِ مَسْمُوعَاتِهَا

Rq : Le terme ijaza dans la transmission du hadith indique générallement la transmission écrite sans être accompagnée par lecture orale.

Al-Khatib al-Baghdadi cite différents types de transmission à son époque :
-samaa' (entendre le texte directement du transmetteur)
-qiraa'a (lire sa propre copie au transmetteur)
-ijaaza (obtenir la permission de transmettre un texte écrit, sans lecture orale)

(Selon Al-Khatib, seuls les zahirites ont considérés les isnads avec transmission par ijaza comme mursal (interrompus), car ils n'acceptaient pas la transmission écrite comme égale à celle orale.)

La transmission orale n'étant plus nécessaire, certains shuyukh ont même donné des ijazas à des enfants pas encore nés. Al-Khatib est réticent à approuver cette pratique, mais il conclue en faisant remarquer que des shuyukh ont donné des ijazas à des enfants qui n'avaient pas encore été emmenés à eux, et que par analogie, d'autres shuyukh ont considéré permis de faire pareil avec des enfants pas encore nés.

 وَعَلَى هَذَا رَأَيْنَا كَافَّةَ شُيُوخِنَا يُجِيزُونَ لِلْأَطْفَالِ الْغُيَّبِ عَنْهُمْ , مِنْ غَيْرِ أَنْ يَسْأَلُوا عَنْ مَبْلَغِ أَسْنَانِهِمْ وَحَالِ تَمْيِيزِهِمْ , وَلَمْ نَرَهُمْ أَجَازُوا لِمَنْ لَمْ يَكُنْ مَوْلُودًا فِي الْحَالِ , وَلَوْ فَعَلَهُ فَاعِلٌ لَصَحَّ لِمُقْتَضَى الْقِيَاسِ إِيَّاهُ، وَاللَّهُ أَعْلَمُ
Kifaya fi 'ilm al-Riwaya 235,326

De la même façon, les hommes pouvaient obtenir une ijaza pour des femmes de leur famille qui ne pouvaient pas voyager pour le hadith.

A partir du 4e siècle, dans les biographies on voit que les femmes apprennent et transmettent de plus en plus par ijaza.

Rq : La propagation de la transmission écrite à partir de cette époque est aussi dûe à l'accessibilité du papier.


FATIMA BINT AL-HASAN BIN ALI AL-DAQQAQ (391-480), IRAN.

Karima était connue pour sa transmission du Sahih de Bukhari, Fatima elle, est connue pour sa piété.
Fille de al-Hasan ibn 'Ali al-Daqqaq (405, leader soufi, shafi'ite).
Épouse de Abu al-Qasim al-Qushayri (465, savant soufi).
Grand-mère de Al-Farisi.
Fatima fait partie d'une des familles savantes les plus influentes de Nishapur (Iran).

1. Les pères (ou autres mahram) étaient souvent cruciaux pour créer des connections tôt qui aideront à la réputation de la fille.

2. Des savants et savantes se mariaient entre eux pour préserver la continuité de la culture savante d'apprentissage et piété.

3. L'apprentissage du hadith était un champ ouvert aux femmes et aux différentes écoles. Il y a eu une prépondérance des savantes shafi'ites et hanbalites entre le 4e et 6e siècle, mais par la suite il y en avait des quatre écoles.

Son père s'est occupée d'elle avec le soin réservé habituellement aux garçons. Il a pris en charge son éducation, lui a inculqué les manières religieuses et la piété sufi. Il l'a emmenée à des assemblées pour écouter le hadith a 7 ans. Elle a mémorisé le Coran et était compétente dans le tafsir. Elle avait 14 ans quand son père est mort.

C'est en l'ayant fait rejoindre un réseau très tôt que son père a permis sa future renommée.

Sa première assemblée de hadith à 7 ans était en présence de Abu al-Hasan al-'Alawi (401). Par humilité, al-'Alawi n'a transmis des hadiths qu'à la fin de sa vie. Il en a finalement sélectionné 1000, et au moins mille pots d'encre se trouvaient dans ses assemblées, indiquant la popularité de ses assemblées.

قَالَ الحَاكِمُ: هُوَ ذُو الهمَّة العَالِيَة، وَالعِبَادَة الظَاهِرَة، وَكَانَ يُسأَلُ أَنْ يُحَدِّثَ فَلاَ يُحَدِّث، ثُمَّ فِي الآخر عقدتُ لَهُ مَجْلِس الإِملاَء، وَانتقيتُ لَهُ أَلفَ حَدِيْث، وَكَانَ يُعدُّ فِي مَجْلِسه أَلفُ محبرَة
Siyar a'lam an-nubala' 17/99

وَكَانَ يُعدُّ فِي مَجْلِسه أَلفُ محبرَة
On comptait dans son assemblée mille encriers.

Presque toutes les femmes connues pour leur piété et apprentissage du hadith dans la biographie d'al-Farisi appartiennent à une importante famille savante.

Al-Hurra al-Bistamiyya était la fille d'un juriste shafi'ite. Elle a entendu le hadith de beaucoup de savants. Ses élèves lui lisaient pendant qu'elle était assise derrière un rideau.

Les muhaddithas de Nishapur étaient surtout shafi'ites. Étrangement, aucune hanafite.


CONCLUSION.

Les carières de Karima al-Marwaziyya et Fatima bint al-Hasan al-Daqqaq révèlent comment la canonisation, la transmission écrite, et l'évolution des savants comme élite sociale et religieuse, ont impacté positivement la participation des femmes dans le hadith. Cette participation a continué trois siècles, produisant de nombreuses femmes transmetteuses prolifiques et populaires.
Le prochain chapitre traite jusqu'au début de la période ottomane, quand la transmission par les femmes a décliné a nouveau.



CHAPITRE 4 : UNE APOGÉE DANS LE TRADITIONNALISME.

"Il n'a été rapporté d'aucun savant qu'il ait rejeté le hadith d'une femme sur la base qu'il soit narré par une femme."
Al-Shawkani (1250) dans Nayl al-Awtar.

Al-Farisi au 6e siècle n'a documenté la vie que de 22 femmes actives entre le 4e et 6e siècle.

L'égyptien al-Sakhawi (902) au 9e siècle a écrit un volume entier sur plus de mille femmes.
À son époque la participation des femmes dans le hadith était à son apogée.

Mais au 10e siècle, la transmission de femmes a diminué.

Une des raisons : la transmission est devenue moins importante, remplacée par l'interprétation (diraaya).
De plus, les femmes se tournaient davantage vers le soufisme basé sur la tariqa ou structures soufi comme les zawiyas et khanqahs.

Dans ce chapitre, on verra 3 grandes muhaddithas : Shuhda al-Katiba, Zaynab bint al-Kamal et A'isha bint Muhammad.


SHUHDA AL-KITABA (482-574), BAGHDAD.
https://en.wikipedia.org/wiki/Fakhr-un-Nisa

(Contexte).
Baghdad étant le coeur de l'autorité califale sunnite, c'est devenu l'arène des luttes politiques les plus violentes.
Les sept califes qui ont régné durant la vie de Shuhda ont lutté pour rétablir le contrôle abbasside sur la capitale et ses environs. 
Il y avait aussi de la lutte sectaire. L'année de naissance de Shuhda, il y avait une bataille entre sunnites et chiites dans le quartier majoritairement chiite de al-Karkh, qui a engendré des dégâts matériels et de nombreux morts.
Quand Shuhda avait 10 ans, les croisés à Jérusalem tuent 70 000 musulmans et pillent le dôme du Rocher. Beaucoup de réfugiés fuyaient dans des villes comme Baghdad.
Les rivalités entre sunnites empêchaient de répondre de façon unifiée à ces crises. Des disputes théologiques qui parfois engendraient des actions violentes. En 469, les prêches de Ibn al-Qushayri (petit-fils de Fatima bint al-Hasan) ont provoqué des émeutes sanglantes entre ses défenseurs (shafi'ites ash'arites) et ses opposants (hanbalites).
Le traditionnalisme a en même temps évolué pour insister sur les points de consensus parmi les sunnites, et finalement a prévalu comme une orthodoxie musulmane classique.
La transmission du hadith, principal échange au sein des traditionnalistes, a réuni les savants de tous bords (théologie, madhhab, secte, sexe, âge, rang) dans la recherche commune de la piété et l'espoir de récompense éternelle.
Les mu'tazilites, eux, formaient un groupe plus fermé et élitiste.

Les ijazas et les isnads 'ali (courtes chaînes) ne faisant pas de distinction de sexe, les femmes pouvaient participer à la transmission du hadith et ainsi consolider la cause traditionnaliste.
Par leur présence dans la sphère domestique, ces femmes pouvaient faire pénétrer l'orthodoxie dans le domaine privé en plus du public.

Shuhda est le modèle de la femme traditionnaliste idéale.
Son père Abu Nasr Ahmad ibn al-Faraj al-Ibri (506) avait immigré à Baghdad et y a établi sa réputation comme muhaddith shafi'ite. Sa formation et ses connexions ont permis et facilité l'éducation de Shuhda.

L'estime de Shuhda pour son père peut être observée dans un commentaire personnel rare qu'elle a inséré dans son livre.
En rapportant un hadith qu'elle a entendu de son père en 490, elle écrit en citant son père :
"Tout cela grâce à ses bénédictions et ses du'as pour moi."
وكل ذلك ببركاته ودعائه لي
al-'Umda 155

Grâce à son père, Shuhda a été initiée à 8 ans à un réseau de savants en lien avec l'élite dirigeante.
Il l'a aussi mariée à 'Ali ibn Muhammad ibn Yahya (549) qui était  associé avec la classe dirigeante de Baghdad.

Les biographes emploient différents mots pour décrire la façon dont elle recevait la transmission.
uhdirat 'ala : si elle était emmenée physiquement auprès du savant
ajaaza(t) la-haa : si elle a reçu une ijaza écrite, de façon directe ou par correspondance
sami'at min : si elle était emmenée à une assemblée dans laquelle un travail en particulier était lu à haute voix
(Ces termes ne sont pas toujours employés rigoureusement, mais dans le cas de Shuhda ça semble fiable.)

Parmi les profeseurs de Shuhda, deux célèbres :
-Tirad ibn Muhammad al-Zaynabi (491) (hanafite, occupant un poste pour les abbassides à Basra et Baghdad)
-Ja'far ibn Ahmad al-Sarraj (500) (hanbalite, transmetteur de hadith, juriste, poète)

Shuhda avait envion 18 ans quand Ja'far est mort, elle a donc reçu la ijaza avant cet âge. (Il était courant d'obtenir la ijaza tôt et d'apprendre le livre plus tard.)

Ibn al-Jawzi a dit : "La dernière personne à avoir transmis de lui (Ja'far) était Shuhda bint al-Ibri. J'ai lu son livre Masari' al-'Ushshaq à Shuhda car elle l'avait entendu directement de lui."

Un autre professeur de Shuhda :
-Abu Bakr al-Shashi (507) (juriste shafi'ite, un successeur de Ghazali)

Lorsque Dhahabi cite ceux qui ont rapporté d'al-Shashi, il mentionne Shuhda en la nommant "la fierté des femmes" (fakhr al-nisaa') :

Ont rapporté de lui : Abu al-Mu'ammar al-Zaji, Ali ibn Ahmad al-Yazdi, Abu Bakr ibn an-Naquri, Abu Tahir as-Salafi, et la fierté des femmes Shuhda.
حَدَّثَ عَنْهُ: أَبُو المُعَمَّر الأَزَجِي، وَعَلِيُّ بنُ أَحْمَدَ اليَزْدِي، وَأَبُو بَكْرٍ ابْن النَّقُّوْرِ، وَأَبُو طَاهِرٍ السِّلَفِيُّ، وَفخرُ النِّسَاءِ شُهْدَة
Siyar a'lam an-nibala' 19/394

(En général seuls les élèves les plus importants sont cités, il est donc rare de voir une femme mentionnée.)

Le développement des madrasa à l'époque de Shuhda aidait les femmes à s'engager avec des professeurs et élèves.

D'après la biographie de Shuhda par Najiha Ibrahim, elle avait 168 élèves (dont 162 hommes).
Parmi eux :
-Ibn al-Jawzi (juriste hanbalite, historien)
-Ibn Qudama (620) (juriste hanbalite)
-al-Sam'ani (shafi'ite, historien, biographe)

La majorité de ses élèves sont nés après 550, quand Shuhda avait 68 ans.
Ainsi sa réputation était plus grande durant sa vieillesse, elle attirait beaucoup de jeunes étudiants.
Dhahabi dit que son âge lui a permis de perpétuer de meilleurs isnads en connectant les générations les plus vieilles avec les plus jeunes.

وَقَالَ الشَّيْخُ المُوَفَّق: انْتَهَى إِلَيْهَا إِسْنَاد بَغْدَاد، وَعُمِّرت حَتَّى أَلحقت الصّغَار بِالكِبَار
Siyar a'lam an-nubala' 20/543

Elle a transmis des travaux de savants célèbres, dont le Muwatta' de Malik.

Elle était aussi connue comme l'une des meilleures calligraphes de Baghdad.
Yaqut raconte qu'il n'y avait personne de son âge qui écrivait comme elle. Et qu'elle avait le même style que Bint al-Aqra' (480), une autre calligraphe.

امرأة من أولاد المحدثين متميزة فصيحة حسنة الخط، تكتب على طريقة الكاتبة بنت الأقرع، وما كان ببغداد في زمانها من يكتب مثل خطها
Mu'jam al-Ubada' 3/1423

Al-Safidi cite un poème qui lui est attribué. Selon lui ce n'est pas elle qui l'a composé, mais il lui a été attribué parce qu'il était écrit avec une écriture élégante (بِخَط فَاضل).

قلت أَنا استبعد أَن يكون هَذَا الشّعْر لشهدة على أَنِّي رَأَيْته أَيْضا فِي مَجْمُوع قديم بِخَط فَاضل وَقد نسبه إِلَيْهَا وَالله أعلم
al-Wafi 16/112

Ibn al-Jawzi (son élève) rapporte que sa prière funéraire a eu lieu dans Jami' al-Qasr, une des plus grandes mosquées de Baghdad. Et que les fenêtres (sans doute de séparation entre les hommes et les femmes) étaient levées (pour que les femmes puissent la voir depuis leur partie avant son enterrement).

وصلي عليها بجامع القصر وأزيل شباك المقصورة لأجلها
al-Muntazam 18/254


LES FEMMES ET LA TRANSMISSION DU HADITH À DAMAS DURANT LA PÉRIODE MAMLUK.

Les deux prochaines muhaditthas du chapitre, Zaynab et Aïcha, étaient de Damas.
Damas a été conquis par les Mamluks en 659, qui ont continué à préserver le traditionnalisme sunnite comme l'avaient fait avant eux les Seljuqides et Ayyubides.
Le contexte était favorable aux carrières de Zaynab et Aïcha. Elles vivaient à al-Salihiyya, une banlieu au nord-est de Damas, qui s'est développée suite à la migration de savants hanbalites de Palestine ayant fui les croisés. (Damas était majoritairement shafi'ite, ce qui a poussé ces savants hanbalites à s'installer plutôt en banlieue.)
L'historien Ibn Fadl Allah al-'Umari (749) décrit al-Salihiyya ainsi :
"Jardins, madrasas, ribats, cimetières importants, hauts bâtiments, hôpitaux et marchés occupés remplis de produis séchés et autres matériels."
Il y avait beaucoup d'investissement dans l'éducation. L'important trafic permettait aux femmes de rencontrer des savants d'ailleurs et se faire connaître dans les autres régions.
Les femmes étaient encouragées à assister aux cercles religieux (halaqat al-'ilm) et assemblées de hadiths (majalis al-hadith). C'était le début d'un mouvement culturel féministe à Damas, au sein duquel la plupart des femmes étaient hanbalites.


ZAYNAB BINT AL-KAMAL (646-740), DAMAS.
https://en.wikipedia.org/wiki/Zaynab_bint_al-Kamal

Elle avait beaucoup d'ijazas. Ibn Hajar dit qu'elle en avait une charge de chameau.
Zaynab a commencé encore plus jeune que Shuhda. À 1 an, elle a reçu plusieurs ijazas, dont une pour transmettre le hadith de Abd al-Khaliq al-Nishtibri (537-649), un célèbre juriste shafi'ite et muhaddith (il a envoyé cette ijaza pour Zaynab deux ans avant sa mort). À 2 ans elle en a encore reçu et a été emmenée à Habiba bint Abi 'Umar (648). Jusqu'à ses 6 ans, des savants de différentes régions lui ont envoyé des ijazas. Entre 3 et 12 ans elle était emmenée à des assemblées où elle entendait des savants lire des livres (et recevait des ijazas).

Elle souffrait d'ophtalmie dans sa jeunesse et ne s'est jamais mariée.
 وَأُصِيبَتْ عينهَا برمد فِي صغرها وَلم تتَزَوَّج قطّ
al-Durar, ibn Hajar 2/248

Parmi les livres qu'elle a transmis : Sahih al-Bukhari, Sahih Muslim, Sunan Abu Dawud, Muwatta' imam Malik.

Dans al-Mu'jam al-Mufahras, Ibn Hajar liste les isnads par lesquelles il a reçu l'autorisation de transmettre certains travaux. Zaynab est présente dans 139 de ses chaînes (donc avec un intermédiaire entre elle et ibn Hajar qui est né en 773).

Dhahabi a reçu des ijazas d'elle.

Les élèves venaient en foule autour d'elle pour lui lire la majeure partie de la journée.

 وتزاحم عَلَيْهَا الطّلبَة وقرأوا عَلَيْهَا الْكتب الْكِبَار وَكَانَت لَطِيفَة الاخلاق طَوِيلَة الرّوح رُبمَا سمعُوا عَلَيْهَا أَكثر النَّهَار قَالَ
al-Durar, ibn Hajar 2/248

(Dans les assises de hadiths, l'objectif était que l'élève vérifie sa copie grâce à la lecture devant le shaykh ou du shaykh lui-même. C'était un moyen de reproduire fidèlement l'original avant l'avénement de l'imprimerie. Souvent les élèves assistaient plusieurs fois à des assises sur le même texte pour que leur copie soit la plus fidèle possible.)

La pratique consistant à enregistrer les détails des assises s'est répandu au 6e siècle. On sait ainsi que les ijazas données par Zaynab étaient entre 713 et 739 (quand elle avait entre 77 et 90 ans). Elle a tenu ces assemblées à différents endroits, dont chez elle ou chez des élèves qui lisaient les textes. Une fois elle a tenu une petite assemblée (quatre élèves) dans un petit jardin. Une fois elle était accompagnée de 10 professeurs, avec plus de 100 élèves. Une fois elle a donné un cours chez elle à 21 élèves (hommes et femmes) après la prière de jumu'a (elle avait 90 ans).

Elle est morte à 94 ans. Aïcha bint Muhammad faisait partie de ses élèves.


A'ISHA BINT MUHAMMAD (723-816), DAMAS.

Elle appartenait à un clan hanbalite important de al-Salihiyya, les Banu Qudama.
Le savant le plus important de ce clan était ibn Qudama (620).

Comme Shuhda et Zaynab, Aïcha a commencé jeune. À 4 ans elle a été emmenée chez al-Hajjar (qui a rapporté le Sahih d'al-Bukhari 70 fois dans différentes régions) et elle a reçu la ijaza pour le rapporter.
Elle est la dernière à avoir rapporté de al-Hajjar, donc sa chaîne était convoitée.

D'après les dates de décès de ses professeurs, elle a été en contact avec eux très jeune (ceux dont on a les dates sont tous morts avant ses 18 ans... une quand elle avait 4 ans, Zaynab bint al-Kamal de qui elle a une ijaza est morte quand elle avait 17 ans).

Parmi ce que Aïcha rapporte : Sahih al-Bukhari, Sahih Muslim, Sira ibn Hisham.

Ibn Hajar a été son élève. Il a reçu de Aïcha la ijaza pour transmettre le Sahih al-Bukhari. Il la cite dans ses isnads dans 15 de ses livres, en précisant qu'il a lu ou révisé en présence de Aïcha et de sa soeur Fatima.

Exemple de chaîne de ibn Hajar dans al-Mu'jam al-Muhfaras, n°429 :
قرأته على فَاطِمَة وَعَائِشَة بِنْتي مُحَمَّد بن عبد الْهَادِي بصالحية دمشق بسماعهما لَهُ على أبي مُحَمَّد عبد الله بن الْحُسَيْن بن أبي التائب أَنبأَنَا مُحَمَّد بن أبي بكر الْبَلْخِي عَن السلَفِي أَنبأَنَا جَعْفَر بن أَحْمد السراج أَنبأَنَا أَبُو مُحَمَّد الْحسن بن مُحَمَّد الْخلال

J'ai lu à Fatima et Aïcha bint Muhammad ibn Abd al-Hadi, à Salihiyya Damas...
قرأته على فَاطِمَة وَعَائِشَة بِنْتي مُحَمَّد بن عبد الْهَادِي بصالحية دمشق

Al-Sakhawi mentionne la région de 26 des élèves femmes de Aïcha. 21 sont de la Mecque. 2 de Alep. 1 du Caire. 1 de Bulaq.

Aïcha bint Muhammad est morte à 93 ans. Funérailles dans une grande mosquée de Damas. Beaucoup de gens sont venus de toutes les régions pour y assister.


UN PORTRAIT COLLECTIF.

Les vies de Shuhda, Zaynab et Aïcha s'étendent sur trois siècles et demi. Mais on peut en tirer des similarités :
(1) leurs relations avec professeurs et élèves, au niveau de l'âge (très jeunes en contact avec très âgés)
(2) l'interraction entre hommes et femmes
(3) l'éducation présente en dehors du système des madrasas
(4) les femmes transmettent surtout le hadith (et plus rarement le fiqh, grammaire, théologie et poésie)

(1) L'âge.

L'âge préférentiel pour acquérir le hadith est entre 1 et 12 ans afin de réduire la taille des isnads et permettre la transmission la plus fiable possible (dans notre contexte, ce serait comme baser notre réputation sur nos professeurs de maternelle-primaire).

Des savants importants comme al-Khatib al-Baghdadi et ibn al-Salah al-Shahrazuri sont d'accord qu'il est acceptable de donner des ijazas à des jeunes enfants tant qu'ils apprennent les travaux en questions plus tard et les transmettent avec précision (beaucoup d'autres femmes ont reçu des ijazas avant 5 ans).

Commencer l'apprentissage du hadith tôt était une pratique courrante, ça pouvait commencer à 4 ans. Le père ou l'oncle prennait des notes pour l'enfant durant les cours.

La pratique des ijazas tôt a augmenté entre le 5e siècle jusqu'au 10e siècle. La recherche de l'isnad le plus court a aidé à la participation des femmes (qui ont une plus longue longévité, notamment car elles sont moins touchées par les conflits).

(2) La mixité.

La mixité est à relativiser car il s'agit souvent de femmes âgées (donc plus attirantes) ou de petites filles non matures sexuellement. Les biographies donnent peu d'informations sur la vie des femmes entre la puberté et la ménopause. Asma Sayeed imagine que les femmes cessaient peut-être d'assister aux assemblées mixtes et se consacraient désormais à l'étude des travaux pour lesquels elles avaient reçu des ijazas. Et une fois suffisamment âgées elles donnaient des cours aux hommes et femmes.
Ou alors elles continuaient comme les hommes d'étudier dans des cercles ouverts aux hommes et aux femmes. Par exemple ibn al-Hajj al-'Abdari (737, malikite) raconte une anecdote où des femmes assistaient à une assemblée de hadith, s'asseyaient en face des hommes, mais en se levant et s'asseyant laissaient voir de leur 'awra.

وَقَدْ تَقَدَّمَ فِي آدَابِ الْمُتَعَلِّمِ أَنَّهُ لَا يَجْلِسُ لِقَاصٍّ وَلَا لِسَمَاعِ قِرَاءَةِ الْكُتُبِ الَّتِي تُقْرَأُ وَلَيْسَ هُنَاكَ شَيْخٌ يُبَيِّنُ مَا يُشْكِلُ عَلَى السَّامِعِ مِنْهَا وَيَتَعَيَّنُ عَلَيْهِ بَيَانُ ذَلِكَ وَإِنْ لَمْ يَسْأَلْ عَنْهُ. وَهَذَا فِي حَقِّ إمَامِ الْمَسْجِدِ آكَدُ إذْ إنَّهُ رَاعٍ عَلَيْهِ كَمَا تَقَدَّمَ، فَيَمْنَعُ مِنْ ذَلِكَ جَهْدَهُ سِيَّمَا إذَا انْضَافَ إلَى ذَلِكَ مَا يَفْعَلُهُ بَعْضُ النَّاسِ فِي هَذَا الْوَقْتِ، وَهُوَ أَنْ يَجْتَمِعَ إلَيْهِ النَّاسُ لِسَمَاعِ الْكُتُبِ فِيهِ ثُمَّ تَأْتِي النِّسَاءُ أَيْضًا لِسَمَاعِهَا فَيَقْعُدُ الرِّجَالُ بِمَكَانٍ وَالنِّسَاءُ بِمُقَابَلَتِهِمْ، سِيَّمَا وَقَدْ حَدَثَ فِي هَذَا الْوَقْتِ أَنَّ بَعْضَ النِّسَاءِ يَأْخُذُهُنَّ الْحَالُ عَلَى مَا يَزْعُمْنَ فَتَقُومُ الْمَرْأَةُ وَتَقْعُدُ وَتَصِيحُ بِصَوْتٍ نَدِيٍّ وَتَظْهَرُ مِنْهَا عَوْرَاتٌ، لَوْ كَانَتْ فِي بَيْتِهَا لَمُنِعَتْ، فَكَيْفَ بِهَا فِي الْجَامِعِ بِحَضْرَةِ الرِّجَالِ فَنَشَأَ عَنْ هَذَا مَفَاسِدُ جُمْلَةٌ وَتَشْوِيشَاتٌ لِقُلُوبِ بَعْضِ الْحَاضِرِينَ فَجَاءُوا لِيَرْبَحُوا فَعَادَ عَلَيْهِمْ بِالنَّقْصِ، أَسْأَلُ اللَّهَ السَّلَامَةَ بِمَنِّهِ.
Madkhal al-Shar' al-Sharif, ibn al-Hajj 2/218-9

Dans son livre, ibn al-Hajj est très sévère sur la présence des femmes en public, mais il n'a pas protesté ici. Il est dérangé par leur comportement (ne pas faire attention à leur 'awra) plutôt que leur présence.
Il défend au contraire l'éducation religieuse des femmes. Selon lui, si l'homme ne peut pas éduquer sa femme correctement, il doit la laisser sortir pour apprendre de personnes plus savantes. S'il refuse, elle peut aller voir le juge qui devra forcer son mari à accorder à sa femme ses droits religieux. (Ibn al-Hajj ne précise pas si elle peut apprendre d'hommes, mais il semblerait que les assemblées religieuses soient bien une exception où la mixité est tolérée).

(3) Carrières en dehors des madrasas.

Il n'y a pas de preuves que des femmes aient eu des postes rémunérés au sein des madrasas.
Les femmes apprenaient par d'autres canaux. Elles apprenaient ou enseignaient le hadith au sein de cercles d'études dans des mosquées ou maisons privées.

(4) Surtout du hadith.

Les femmes rapportent principalement des compilations de hadiths sur des sujets particuliers (rites, piété) ainsi que des compilations majeures (comme le Sahih al-Bukhari).
Les commentaires juridiques, traités de théologie et tafsirs du Coran sont plus rares.
Ces derniers nécessitent de longues études en continu (problème de mixité). De tels sujets étaient en général étudiés dans des madrasas (autre obstacle). Les femmes devaient aussi se marier et élever les enfants.


LE DÉCLIN OTTOMAN.

La participation des femmes a chutté après l'expansion ottomane en Égypte et Syrie au début du 10e siècle.

7e siècle : 38 femmes.
8e siècle : 38 femmes.
9e siècle : 21 femmes.
10e siècle : 7 femmes (dont seulement 2 connues pour le hadith).

Les 2 femmes du 10e siècles connues pour le hadith :

-Amat al-Khaliq bint al-Khayr (902), connue pour être la dernière transmetteuse du Sahih al-Bukhari d'après les compagnons de al-Hajjar (parmi lesquels : Aïcha bint Muhammad, dont on a vu qu'elle est la dernière à avoir rapporté de al-Hajjar).
-Umm al-Hana bint Muhammad al-Misriyya (911).

Parmi les autres femmes du 10e siècle :

-Khadija bint Muhammad (930) : shaykha pieuse, connaisseuse dans le fiqh. Son père et ses frères étaient shafi'ites mais elle a choisi l'école hanafite.
-Zaynab bint Muhammad (980) : poésie, calligraphie.
-Fatima bint Yusuf al-Tadafi (925) : ascètisme.
-Aïcha bint Yusuf al-Ba'uniyya (922) : célèbre poètesse soufi de Damas. Elle appartenait à une famille importante de savants. Savante, poète, pieuse. Coran, hadith. Elle avait des ijazas pour émettre des avis juridiques et enseigner la loi.
https://en.wikipedia.org/wiki/%27A%27isha_al-Ba%27uniyya
-Fatima bint 'Abd al-Qadir (966) : shaykha hanafite, soufi. Belle calligraphie, recopiait beaucoup de livres, éloquente, pieuse. Elle crédite son mari pour son éducation religieuse (habituellement c'est plutôt le père qui est crédité).

À la fin du 9e - début du 10e siècle, l'accent est mis sur la diraaya au lieu de la riwaaya. Les termes comme "qara'a 'alaa", "ajaaza lahu", "haddatha 'an" (qui précisent la façon de transmettre) se font plus rares. On cite plutôt les connaissance en Coran et fiqh des savants. On cite aussi plus souvent les tariqas soufi.

L'accent mis désormais sur les connaissances du transmetteur au lieu de la transmission pure a pu être un facteur du déclin des femmes. L'orthodoxie traditionnaliste avait impacté la participation des femmes positivement. L'orthodoxie ottomane (avec son accent mis sur le fiqh et le soufisme) a généré de nouveaux critères ayant eu un impact négatif.


CONCLUSION.

On a vu dans ce chapitre les raisons de la forte participation des femmes à partir du 4e siècle :
-la canonisation du hadith
-l'acceptation de la transmission écrite
-les réseaux de familles de savants
-la promotion du traditionnalisme comme orthodoxie sunnite classique (structure de l'âge, ijazas, isnad court)

Ce phénomène est d'autant plus curieux, qu'aucun de ces facteur n'avait pour objectif de faciliter la participation des femmes dans le hadith.

De la même façon, l'ère ottomane a provoqué une diminution de la participation des femmes. Cela nécessite de futures études.


CONCLUSIONS.

Pendant 1 siècle et demi : participation significative des femmes dans la transmission du hadith. Surtout des compagnonnes.
Puis pendant 2 siècles et demi : participation négligeable.
À partir du milieu du 4e siècle : retour des femmes. Beaucoup deviennent connues comme transmetteuses.
Au milieu 10e siècle : grande diminution des femmes transmetteuses.

On pourrait suspecter une discrimination envers les femmes. Quelques citations montrent en effet que la valeur d'une narration juridique rapportée par une femme peut être moindre. Sur certains sujets importants il a pu y avoir de la discrimination, mais ce n'est pas assez pour expliquer la profonde marginalisation des femmes sur 2 siècles et demi.

D'autres facteurs l'expliquent :
-La "profesionnalisation" de la transmission du hadith qui imposait des critères stricts sur le rapporteur (ça plaçait la barre trop haut pour les femmes, elles pouvaient difficilement acquérir les connaissances nécessaires, ne pouvant fréquenter que des mahrams).
-Entreprendre de durs voyages pour collecter le hadith (rihlas) était devenu déterminant pour la carrière d'un savant du hadith (la mobilité de la femme était limitée).

Rq : Les hadiths avec des femmes dans leur chaîne peuvent être datés relativement tôt, car à partir du 2e siècle, étant donnés les critères stricts imposés, un forgeur de hadith qui inventerait une chaîne n'incluerait certainement pas de femme... car son but est de créer une chaîne en apparence solide. Cependant l'authenticité et la datation des hadiths doivent être traitées au cas par cas.

La réinsertion des femmes au 4e siècle s'explique par :
-la compilation des collections canoniques
-l'augmentation de la transmission écrite
-le triomphe du traditionnalisme sunnite

La diminution au 10e siècle est dûe à l'accent que mettaient les ottomans sur l'étude du hadith (pour en déduire la loi), plutôt que la transmission simple.

Cet historique des femmes transmetteuses remet en question deux positions répandues dans les études sur les femmes musulmanes :

1. L'impact de l'islam sunnite traditionnaliste sur la participation publique des femmes.
Plusieurs études récentes ont prétendu qu'il avait restreint la mobilité et participation des femmes dans la sphère publique.
Ce livre montre que c'était précisément cette branche de l'islam qui a mobilisé avec succès les femmes dans les cercles sunnites après le 4e siècle et les a fait s'engager dans l'arène publique de la transmission du hadith.

2. Une autre idée fausse, c'est que la mobilité et le statut des femmes étaient plus hauts durant le premier siècle, puis ont subi un déclin irréversible à cause de l'expansion impériale, l'absorbtion des valeurs patriarcales dégradantes pour les femmes des cultures voisines Byzantines et Sassanides, et la codification juridique de ces valeurs misogynes. Et que ce n'est qu'au 19e siècle (grégorien), avec l'impérialisme Européen, que le discours sur les droits des femmes a infiltré le monde musulman.
Cependant, comme j'ai montré ici, les femmes ont certes subi un revers après le 1er siècle dans la transmission du hadith, mais ont été capables de réinfiltrer ce champ au milieu du 4e siècle et atteindre de grandes renommées comme transmetteuses de hadiths (et cela, malgré une longue absence de femmes).


Fin du résumé du livre.

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La fiqh des minorités.